La première décision de la Commission des Sanctions de l’AFA
Le 4 juillet dernier, la Commission des Sanctions de L’Agence Française Anticorruption (AFA) a mis fin au suspens : aucun des 8 griefs notifiés par l’AFA à la Sonepar et à sa dirigeante n’a été constaté par la Commission des Sanctions au jour où elle a statué ! C’est une validation totale de la conformité de leur dispositif anticorruption aux exigences de la loi Sapin 2. Cette décision, tant attendue par les professionnels de la Compliance, livre quelques premiers enseignements précieux en dépit d’une motivation que l’on espérait plus didactique et détaillée.
La Commission des sanctions examine le dispositif anticorruption en vigueur au jour où elle statue
C’est à la date à laquelle elle statue que la Commission des sanctions apprécie la conformité du dispositif de prévention et de lutte contre la corruption et le trafic d’influence. Les entreprises contrôlées disposeront ainsi de précieux mois2 pour tenir compte des éventuels manquements aux exigences de l’article 17-II de la loi Sapin 2 relevés par les contrôleurs de l’AFA et mettre au niveau leur dispositif anticorruption.
Cela confirme le rôle essentiellement préventif des contrôles de l’AFA, lesquels n’ont pas pour vocation première de sanctionner les entités contrôlées mais de s’assurer qu’elles adoptent un dispositif anticorruption complet et effectif.
La force obligatoire des Recommandations de l’AFA
La Commission des sanctions rappelle que les Recommandations de l’AFA ne sont qu’un référentiel dont l’usage n’est pas obligatoire et que la seule exigence imposée aux sociétés contrôlées est d’apporter les éléments permettant d’apprécier la qualité du dispositif anticorruption qu’elles ont mis en place. Toutefois, la décision précise que « doit être regardée comme apportant des éléments suffisants, sauf à l’Agence à démontrer qu’elle n’a pas, en réalité, suivi les Recommandations », la personne mise en cause qui a suivi, en tout point, la méthode préconisée par l’AFA dans ses recommandations.
A l’inverse, la personne qui n’aura pas ou partiellement suivi les Recommandations de l’AFA devra démontrer la pertinence, la qualité et l’effectivité de son dispositif anticorruption en justifiant de la validité de la méthode qu’elle aura choisie et suivie.
La régularité de la procédure de contrôle menée par l’AFA
Sérieusement critiquée par la défense, la Commission des sanctions a sobrement précisé, s’agissant de la régularité du contrôle mené par l’AFA que :
- des documents se rapportant à une période antérieure peuvent illustrer la façon dont l’entité contrôlée à fait face dans le passé à l’exposition aux risques de corruption et de trafic d’influence,
- la société contrôlée peut refuser de communiquer les documents aux contrôleurs de l’AFA, lesquels pourront alors saisir le Procureur d’une plainte pour délit d’entrave3,
- la force probante des propos prêtés par les agents de l’AFA aux personnes entendues dans le cadre des entretiens informels pourrait être discutée au cas par cas dans le cadre de l’examen au fond de l’affaire.
La Commission des sanctions n’entend donc pas s’ériger en juge de la régularité de la procédure de contrôle, mais se réserve la possibilité d’écarter, dans le cadre de son examen au fond, certains des éléments venant au soutien des griefs formulés par l’AFA.
Rien ne sert de courir, il faut partir à point !
En dépit du manque de précisions factuelles et pratiques quant au dispositif anticorruption qui était examiné, la motivation de la décision laisse entrevoir un dispositif anticorruption particulièrement sérieux et complet de la Sonepar4 : Alors, certes cette décision apporte un indéniable bol d’air en offrant aux sociétés assujetties la possibilité d’adapter leur dispositif postérieurement au contrôle de l’AFA…pour autant, au regard de l’ampleur des diligences à réaliser, rien ne sert de courir…il faut partir à point !
La première Conventions Judiciaires d’Intérêt Commun pour Fraude Fiscale
Une sixième « CJIP » innovante
6 Conventions Judiciaires d’Intérêt Commun (« CJIP ») ont été signées depuis la création de cet outil de « Justice Négociée » par la Loi Sapin du 9 décembre 2016.
La CJIP est un accord trouvé entre un Procureur et une société personne morale, qui permet, en contrepartie du paiement par celle-ci d’une amende d’intérêt public ou d’obligations de mise en conformité anti-corruption, de mettre un terme définitif aux poursuites pénales engagées par le Procureur. La société signant une CJIP échappe à toute condamnation pénale.
Cette justice négociée est réservée à certaines infractions, à savoir la corruption, le trafic d’influence, le blanchiment de fraude fiscale et autres infractions connexes5. Depuis la loi du 23 octobre 2018 de lutte contre la fraude, la CJIP a été étendue à la fraude fiscale (articles 1741 et 1743 du CGI).
La CJIP signée par la société Carmignac Gestion et le Parquet National Financier (PNF) le 27 juin 2019 est ainsi la première en matière fiscale.
La sanction pénale d’un abus de droit fiscal
En 2017, l’administration fiscale avait déposé plainte entre les mains du PNF, estimant que la société Carmignac Gestion et ses dirigeants avaient commis un abus de droit, en mettant en place un montage permettant de minorer considérablement l’impôt. En pratique, l’activité opérationnelle de promotion des fonds de gestion était logée dans des entités au Luxembourg, qui y bénéficiaient d’un régime fiscal favorable. Puis, ces sociétés remontaient en France le produit de l’activité par voie de dividendes. Ces distributions aux sociétés mères bénéficiaient alors d’un régime fiscal très favorable en France, en application du régime mère-fille (5%).
Ces faits ont donné lieu à un redressement fiscal par l’administration française. La société Carmignac s’était donc acquittée de l’impôt éludé sur 5 exercices (environ 11M€), des intérêts et des pénalités de 80% (près de 9M€).
Néanmoins, les actions et sanctions fiscales et pénales pouvant se cumuler, la procédure pénale était en cours. C’est dans ce cadre et après audition de ses dirigeants que la société Carmignac Gestion a reconnu les faits et pris acte qu’ils constituaient, pour le PNF, une fraude fiscale. Pour mettre un terme à la procédure pénale à son encontre, elle a accepté de régler une amende d’intérêt public de 30.000.000 euros.
Une forte amende d’intérêt public
Le montant de l’amende d’intérêt public a suscité la réflexion. Tout d’abord et de façon presque pédagogique, le Parquet National Financier (PNF) a rappelé que l’amende était plafonnée à 30% du chiffre d’affaires moyen brut des trois dernières années (à l’époque des faits). En l’espèce, le montant maximal d’amende atteignait 223 millions d’euros… Ce seuil était toutefois privé d’intérêt au regard de sa disproportion avec les faits reprochés (11M€ d’impôt éludé).
Le PNF s’est alors concentré sur le rappel du montant de l’impôt éludé (11M€) et sur la trésorerie indue en résultant (0,7M€). Puis, le PNF a estimé qu’une pénalité complémentaire d’environ 18M€ s’imposait, compte tenu de la gravité des faits, du caractère artificiel et complexe du montage mis en place, de sa durée et de l’absence de terme mis volontairement à cette situation par la société. Ceci a donc permis de fixer l’amende d’intérêt public à la somme exacte de 30M€. On regrettera simplement de ne pas mieux comprendre la fixation de ce montant important, pour rationaliser le complément de 18M€ ou mettre en perspective cette somme avec l’amende correctionnelle encourue du chef de fraude fiscale (2010-2012) et fraude fiscale aggravée (2012-2105).
Premiers pas d’une justice négociée à la française
Il sera instructif de suivre le sort des dirigeants de la société Carmignac Gestion, le PNF demeurant maître de l’opportunité des poursuites à leur égard. Pour la société, la convention est désormais homologuée par le Tribunal de grande instance de Paris. La CJIP Carmignac illustre ainsi parfaitement la rapidité et le coût de la justice négociée face à la durée et l’aléa judiciaire d’une procédure d’enquête puis correctionnelle. En effet, si la CJIP donne, par sa publicité, une notoriété aux faits poursuivis et reconnus dans leur matérialité par la société signataire ; elle lui permet de mettre un terme définitif à un risque pénal, de façon très efficace au plan économique, réputationnel et juridique, en l’absence de mise en œuvre de sa responsabilité pénale.
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