Le « plan de résilience économique et social » et l’adaptation des contrats publics et privés face à l’augmentation du prix des matières premières.
Dans le cadre de la présentation du « plan de résilience économique et sociale » le 16 mars 2022 pour faire face, notamment, aux augmentations brutales du prix des matières premières liées à la guerre en Ukraine, les acheteurs publics se sont vus rappeler la nécessité de tenir compte du contexte actuel dans l’exécution des contrats.
Pour tenir compte des difficultés rencontrées par les acheteurs et les entreprises dans l’exécution de leurs contrats, en particulier des contrats conclus dans le secteur du BTP, les acheteurs publics ont été invités, d’une part, à inclure des clauses de révision des prix dans leurs marchés et, d’autre part, à ne pas appliquer les pénalités dans l’hypothèse où les éventuels manquements de leurs cocontractants résulteraient des circonstances dues à la crise Ukrainienne. Il a également été rappelé la possibilité de réviser les conditions d’exécution des contrats de droit privé sur le fondement de l’imprévision.
L’insertion d’une clause de révision des prix se heurtera à des difficultés en raison du régime juridique applicable à la modification des contrats en cours d’exécution (1). Les acheteurs publics devront en outre veiller à ne pas accorder d’avantages injustifiés aux titulaires de leurs marchés en les exonérant des pénalités (2). Enfin, la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision, loin d’être automatique, supposera une appréciation circonstanciée des événements susceptibles d’intervenir pendant l’exécution du contrat (3).
1. Les difficultés juridiques liées à l’insertion d’une clause de révision des prix dans les contrats en cours d’exécution soumis au code de la commande publique
L’insertion d’une clause de révision des prix préconisée pour faire face à la flambée des prix de matières premières fait écho à l’actualisation récente de la fiche technique de la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’économie, des finances et de la relance (ci-après DAJ), relative aux « marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières » (mise à jour le 18 février 2022)1.
Cette actualisation visait principalement à rappeler aux pouvoirs adjudicateurs et entité adjudicatrices, en particulier aux établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat, aux personnes publiques sui generis et à toutes les personnes morales de droit privé soumises au CCP, l’obligation de conclure leurs marchés à prix révisables lorsqu’ils s’exposent à des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des prestations, ou lorsque les marchés, d’une durée de plus de trois mois, présentent une part importante de fournitures dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux2.
Si ce rappel est utile pour la rédaction des marchés publics qui n’ont pas encore été conclus, il ne résout pas les difficultés auxquelles sont confrontés les acheteurs et les entreprises dans les contrats en cours d’exécution conclus à prix fermes ou présentant des clauses de révision des prix défaillantes (du fait notamment d’éventuelles clauses « butoir »).
Pour les marchés publics en cours d’exécution, les dispositions du code de la commande publique relatives à la modification des contrats en cours d’exécution s’opposent à ce que des modifications affectent directement les prix contractualisés, lesquels sont dits « intangibles », et, par extension, les éventuelles clauses de variation des prix3.
L’insertion d’une clause de révision des prix dans un marché public conclu à prix ferme, ou même la modification des conditions de révision des prix (en particulier des indices et de la périodicité de la révision, hors situation particulière de l’erreur matérielle évidente) se heurte ainsi à de sérieuses difficultés juridiques4.
2. Une exonération des pénalités possible dans la limite d’une appréciation circonstanciée des manquements concernés
L’incitation à une application raisonnée des pénalités dans un contexte où le manquement contractuel concerné serait lié à la crise ukrainienne reprend les prises de position anciennes de la DAJ, y compris avant la crise sanitaire du Covid-19, concernant les modalités d’application des pénalités. Dans sa fiche technique sur « les pénalités dans les marchés publics » du 1er avril 2019, la DAJ rappelait que les acheteurs publics peuvent renoncer à l’application des pénalités de retard, en particulier lorsque le titulaire du marché est une TPE ou une PME pour laquelle la mise en œuvre des pénalités aurait de lourdes conséquences financières5.
Cette incitation fait également écho aux précédentes prises de position du Gouvernement lors du déconfinement à compter de mai 2021 au sortir de la crise sanitaire du Covid-196.
Si une personne publique n’est pas tenue de faire application des pénalités de retard, ce renoncement doit cependant être motivé par des raisons d’intérêt général et ne doit pas pouvoir être regardé comme constituant un avantage injustifié au profit de l’entreprise7.
Dans ce contexte, l’exonération des pénalités ne saurait être automatique. Il est par conséquent recommandé, tant aux acheteurs publics qu’aux entreprises, de veiller à particulièrement bien documenter le contexte dans lequel les manquements sont intervenus et les motifs liés à l’exonération des pénalités concernées.
3. La théorie de l’imprévision, invocable dans le cadre de l’exécution des contrats publics, doit également être justifiée au regard de circonstances de fait précises
Si le plan de résilience évoque la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision pour les seuls contrats de droit privé, il convient de préciser que l’imprévision, théorie ancienne d’abord issue de la jurisprudence du Conseil d’Etat avant d’être reprise à l’article L. 6 3° du CCP, est également applicable aux contrats publics.
Cette théorie permet au cocontractant de l’administration d’obtenir de cette dernière une indemnité, par voie conventionnelle ou en engageant sa responsabilité, et vise à couvrir une partie du déficit qu’il a subi pendant l’exécution du contrat du fait d’un événement extérieur aux parties, imprévisible dans sa survenance ou son ampleur et qui a bouleversé temporairement l’équilibre économique du contrat.
Ce n’est toutefois que dans l’hypothèse où la flambée des prix des matières premières ou les difficultés d’approvisionnement présenteraient de telles caractéristiques qu’elles pourraient justifier une indemnité9.
La qualification du caractère imprévisible de ces difficultés, lesquelles perdurent de façon plus ou moins continue dans le temps depuis mai 2021 pour de nombreux secteurs, devra faire l’objet d’une attention particulière.
Il est difficile d‘apprécier si ce bref rappel par le Gouvernement des outils juridiques existants sera suffisant pour limiter efficacement les conséquences de la forte augmentation des prix qui affecte différents secteurs.
Pour l’heure, la mise en œuvre de ces outils repose entièrement sur la coopération des acheteurs publics, mais il n’est pas exclu que, dans l’hypothèse où une loi viendrait à qualifier les circonstances actuelles de « circonstances exceptionnelles », le Gouvernement prenne un décret actionnant les mesures spéciales prévues aux articles L. 2711-1 à -8 du CCP, obligeant alors les acheteurs à prolonger les délais d’exécution et à ne pas sanctionner leurs cocontractants s’ils démontrent qu’en raison des circonstances exceptionnelles, ils ne disposent pas des moyens suffisants pour exécuter leurs obligations contractuelles, ou que la mobilisation de ces moyens ferait peser sur eux des charges manifestement excessives.
- Pour voir la fiche technique actualisée > cliquer-ici
- Art. R. 2112-13 et 14 du CCP.
- Voir notre précédent flash info du 10 février 2022 « Hausse des prix : quelles solutions possibles pour le titulaire d’un marché public ? »
- Les acheteurs et titulaires confrontés à une telle situation trouveront utile de consulter le flash info du 10 février 2022, précité.
- Pour voir la fiche en ligne à l’adresse > cliquer-ici
- Dès le 16 juillet 2021, le Directeur du cabinet du Premier ministre, constatant les tensions se multipliant sur le marché des matières premières, avait incité les acheteurs publics de l’Etat à aménager les délais d’exécution, renoncer aux sanctions contractuelles, et respecter les délais de paiement (note no 6293/SG).
- Voir en ce sens : CE, 9 novembre 2018, Sté Savoie Frères, no 413533, Rec. T. ; concl. rapp. pub. S. Dewailly sur CAA Paris, 20 juin 2011, Sté Eurep Industries, no 09PA05083.
- Sur la mise en œuvre de cette théorie dans les contrats de la commande publique, voir notre flash info du 10 février 2022 « Hausse des prix : quelles solutions possibles pour le titulaire d’un marché public ? »
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