«Au regard de l’arsenal dont disposent les Etats, rien ne justifierait l’abandon de libertés fondamentales ni l’abdication devant les GAFA»
Il est classique d’opposer les dystopies d’Aldous Huxley dans son Meilleur des mondes à celle d’Orwell dans 1984. Si Orwell nous révèle l’essence des grands totalitarismes du XXe siècle dont l’objectif consistait à contrôler la pensée et donc les moyens d’expressions, Huxley nous décrit, quant à lui, un totalitarisme fondé sur une éthique de bienêtre et de confort imposant aux concitoyens les modes de ce bonheur.
La liberté de critiquer sans limite le gouvernement notamment via internet démontre que le monde de 1984 est fort éloigné du nôtre. A l’inverse, les modes de luttes contre la pandémie de Covid-19 et, particulièrement l’analyse des instruments du déconfinement, nous fournissent une illustration de la victoire d’Huxley!
Dès lors qu’une immunité collective se révélerait trop effroyable en termes de pertes humaines et où même les plus résolus à faire primer l’économie ont dû y renoncer, les spécialistes expliquent qu’un déconfinement progressif ne sera envisageable que si sont adoptées les mesures les plus évoquées pour y parvenir à savoir: hygiène collective renforcée (port de masques), tests systématiques de la population et application de géolocalisation de la population («tracking»).
Les défenseurs du tracking expliquent que cette solution serait indolore dès lors que nous abandonnons tous déjà nos données aux GAFA. Justifier d’une aliénation plus importante au motif qu’une autre existerait déjà ne semble vraiment pas convaincant.
L’empressement de nos gouvernants à voir prise cette dernière mesure révèle malheureusement leur incapacité à mettre en place les deux premières qui seraient adaptées et proportionnées avec les objectifs poursuivis.
La tentation française du recours à la solution répressive
La réponse tient malheureusement dans la tentation française d’un recours trop systématique à un traitement répressif des problèmes. La tentation de l’adoption de mesures de tracking en constitue une parfaite illustration. Les défenseurs du tracking expliquent que cette solution serait indolore dès lors que nous abandonnons tous déjà nos données aux GAFA. Justifier d’une aliénation plus importante au motif qu’une autre existerait déjà ne semble vraiment pas convaincant. Il est surtout impossible de comparer une entreprise privée aussi puissante fut-elle mais qui, par essence, ne dispose pas de pouvoirs de police et de répression, avec un Etat régalien qui lui en dispose.
Les Etats vont d’ailleurs s’allier aux GAFA pour ensemble organiser et rendre plus définitive notre soumission. Apple et Google ont ainsi annoncé le 10 avril 2020 mettre à la disposition des Etats une brique logicielle permettant d’interopérer nos « smart phones » avec les applications gouvernementales en préparation.
Comment croire sans conditions nos gouvernements qui affirment vouloir respecter les principes fondamentaux mais qui commencent par ne pas s’opposer à la mise en place d’alliances manifestement contraires à toutes les règles de concurrence et qui vont confier un accès potentiel des données de santé des humains à des acteurs n’ayant pas démontré leur capacité à respecter la vie privée? La transaction est malheureusement simple : aux GAFA le pouvoir économique et aux Etats le contrôle policier et la surveillance des personnes.
Moins contraignant que le confinement?
Pour certains, ce «tracking» est souhaitable car il constitue une solution de privation de liberté moins contraignante que celle subie du fait du confinement. Adopter ce raisonnement c’est, pour le prisonnier, se réjouir du bracelet électronique alors que la liberté est possible mais c’est surtout feindre de ne pas saisir la nature profondément implacable et sans doute irréversible de l’adoption de cette technologie pour contrôler la circulation des personnes. En effet, sans aucune considération technophobe, la science doit servir et non asservir.
Il est impossible de ne pas saisir la rupture qui s’opère, dès lors que la technologie organise une privation de liberté. Son caractère implacable, sans aucun écart possible, s’il est mis au service d’une surveillance humaine de nature répressive, est radicalement contraire à nos valeurs humanistes.
Aucune garantie d’efficacité
En l’absence d’un cadre législatif, il sera juridiquement impossible d’y avoir recours en dehors du volontariat. Cette nécessité d’une loi repose sur la directive e-Privacy de 2002 qui n’autorise le recours à la géolocalisation que dans le cadre de l’adoption d’une loi fondée sur un motif de sécurité publique. Cette exigence et donc celle d’un débat parlementaire sérieux, s’agissant de sécurité publique et de droits fondamentaux, rend en l’état cette perspective tout à fait théorique.
Une solution reposant sur le seul volontariat interroge sur son efficacité. En effet et sans entrer dans un débat technique d’épidémiologie, il apparaît logique qu’en l’absence d’un échantillon significatif que nous n’atteindrons sans doute pas avec le volontariat, la méthode soit affectée d’un biais qui la rende fort contestable.
Il est probable que certaines entreprises exigent rapidement, en vertu du principe de sécurité dû aux employés, le retour au travail des seuls «volontaires» pour l’application « tracking »
Sans aucune garantie d’efficacité, il est à craindre qu’une telle solution ne révèle également de nombreux abus et pose des difficultés juridiques complexes. Il est probable que certaines entreprises exigent rapidement, en vertu du principe de sécurité dû aux employés, le retour au travail des seuls «volontaires» pour l’application «tracking». De même, les salariés «volontaires» ne seraient-ils pas fondés à mettre en cause ladite obligation de sécurité de l’employeur si ce dernier permettait l’accès de l’entreprise à des salariés non «volontaires»?
Ces éléments devraient a fortiori peser si le «tracking» devait, à l’issue de cette crise, être envisagé par une loi s’appliquant à tous (et non plus dans le seul cadre du volontariat), dans la seule perspective d’un possible «rebond» de la pandémie.
Respect des principes fondamentaux
Il serait alors essentiel que le travail du législateur intervienne dans le strict respect des principes juridiques fondamentaux. Ces principes ont été rappelés par le Comité européen de la protection des données (CEPD) qui estime que ces législations se doivent alors de respecter le cadre du droit communautaire et notamment la Charte des droits fondamentaux de l’Union.
Cette référence contraint notre législateur à l’application de ces principes et en particulier, celui de la proportionnalité. L’application de cette proportionnalité, notamment par le Conseil Constitutionnel, devrait alors s’effectuer en fonction de la gravité de la rupture qu’une telle mesure opérerait dans notre droit.
Des solutions moins contraignantes
En l’espèce c’est loin d’être le cas, les autres composantes de l’équation de la sortie de crise constituent des facteurs beaucoup plus efficaces que la mesure de « tracking ». Le recours aux tests systématiques notamment sérologiques, le port de masques et le recours à une hygiène de distanciation stricte, dans l’attente d’une vaccination demeurent les moyens les plus efficaces de nous faire sortir de cette crise.
Au regard de l’arsenal dont disposent ou dont devraient disposer les Etats, rien ne justifierait la rupture évoquée précédemment, l’abandon de libertés fondamentales, sans compter l’abdication devant les GAFA libérées des contraintes du droit de la concurrence et jouissant d’une possibilité d’accès à toutes nos données les plus intimes.
Il est trop facile de s’abriter à l’arrière de poncifs essentialistes décrétant que les peuples germaniques seraient plus disciplinés que les latins pour justifier d’une politique privilégiant la répression.
Au-delà de ces considérations, la difficulté de formuler de manière audible une opinion divergente démontre à nouveau, la résistance à la mise en place de la plus importante des mesures à savoir l’appel à la responsabilité individuelle. Il semble que les pays qui s’en sortent le mieux, à savoir l’Allemagne ou la Suisse par exemple, ne connaissent pas la vigueur de nos restrictions de liberté mais misent essentiellement et avec succès sur cette responsabilité. Il est trop facile de s’abriter à l’arrière de poncifs essentialistes décrétant que les peuples germaniques seraient plus disciplinés que les latins pour justifier d’une politique privilégiant la répression.
Si nous voulons continuer à retarder l’entrée dans la dystopie cauchemardesque d’Huxley, résistons collectivement à la solution de la facilité répressive à laquelle il est encore trop « naturel » de recourir dans la patrie de l’auteur de la servitude volontaire.
Laurent Marville, avocat-associé du cabinet Reinhart Marville Torre, L’Opinion, 15 avril 2020
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