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Précisions sur les obligations de publicité et de mise en concurrence préalables à la délivrance des titres d’occupation du domaine public et du domaine privé.

Par deux décisions du 2 décembre 2022(1), le Conseil d’État a jugé, d’une part, que la délivrance des titres d’occupation du domaine public en vue d’exploiter une activité économique avant le 1er juillet 2017 était susceptible d’être soumise à l’obligation d’organiser une procédure de sélection préalable sur le fondement de la directive européenne dite services, et a confirmé, d’autre part, que la délivrance des titres d’occupation sur le domaine privé demeure exclue de l’obligation d’organiser une procédure de sélection préalable.

Les règles de publicité et de mise en concurrence préalables à la délivrance des titres permettant d’occuper le domaine public et le domaine privé ont fait l’objet d’importantes évolutions législatives et jurisprudentielles ces dernières années (1). Par les deux arrêts ici commentés, le Conseil d’État clarifie le régime applicable aux titres d’occupation domaniale (2).

1. Les incertitudes initiales concernant l’application des règles de publicité et de mise en concurrence préalablement à la délivrance d’un titre portant sur l’occupation du domaine public ou du domaine privé

En 2010, le Conseil d’État avait jugé qu’aucun texte ni aucun principe n’imposait à l’autorité gestionnaire du domaine d’organiser une publicité ou une mise en concurrence préalablement à la délivrance d’un titre d’occupation domaniale(2). 

Cette prise de position(3) semblait contraire aux disposition de la directive européenne du 12 décembre 2006 dite « directive services »(4), laquelle n’avait pas encore été transposée en droit interne, imposant une procédure de sélection prévoyant des garanties d’impartialité et de transparence préalablement à la délivrance des « autorisations » ayant pour objet de permettre à un opérateur économique d’accéder ou d’exercer une activité de service, dans l’hypothèse où le nombre d’autorisations disponibles est limité(5). 

En 2016, la Cour de justice de l’Union Européenne (ci-après « CJUE ») a confirmé que les titres portant sur l’occupation du domaine public étaient susceptibles d’être soumis à l’obligation d’organiser une procédure de sélection préalablement à leur délivrance, en application de la directive services(6).

Les exigences de la directive services ont par la suite été transposées en droit interne pour les seuls titres emportant l’occupation du domaine public en vue d’une exploitation économique(7). 

Ainsi, depuis le 1er juillet 2017, la délivrance des titres portant sur l’occupation du domaine public en vue d’une exploitation économique doit être précédée d’une procédure de sélection préalable(8). 

S’agissant du régime applicable aux titres d’occupation du domaine privé, si certaines juridictions civiles(9) et plusieurs ministres, à l’occasion de questions au gouvernement(10), ont pu considérer que les textes nationaux et européens en vigueur imposaient l’organisation d’une procédure de sélection préalablement à leur délivrance, le Conseil d’État ne s’était pas encore prononcé sur l’existence d’une telle obligation, notamment en application de la directive dite services.

2. La clarification du régime applicable à la délivrance des titres portant occupation du domaine public ou du domaine privé

Dans ses deux décisions du 2 décembre 2022, le Conseil d’État a eu l’occasion de clarifier les règles applicables aux titres portant occupation domaniale en tenant compte des dispositions de la directive services.

(i) Dans une première affaire concernant l’occupation du domaine privé, le Conseil d’État a jugé qu’il ne résultait, ni des termes de la directive services, ni de la jurisprudence de la CJUE, que l’obligation d’organiser une procédure de sélection préalable s’appliquerait aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé(11). 

Le Conseil d’État a, en conséquence, estimé que l’Etat pouvait être regardé comme ayant pris les mesures nécessaires pour la transposition de la directive services et a confirmé que le moyen tiré de l’absence de procédure de sélection préalable prévue par cette dernière ne pouvait être utilement invoqué pour contester de la délivrance d’un titre portant occupation du domaine privé. 

(ii) Dans une deuxième affaire concernant l’occupation du domaine public, le Conseil d’État a précisé les conditions dans lesquelles les titres délivrés antérieurement au 1er juillet 2017 pouvaient être soumis aux exigences de la directive services et ainsi être soumis à l’obligation d’organiser une procédure de sélection préalable. 

Le Conseil d’État a d’abord relevé que le délai de transposition de la directive services a expiré le 28 décembre 2009 et que tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis, les mesures de transposition nécessaires(12).

En l’espèce, la convention portant occupation du domaine public avait été conclue le 12 janvier 2016, soit postérieurement à l’expiration du délai de transposition de la directive et antérieurement à sa transposition par l’ordonnance du 19 avril 2017. Le moyen tiré de la méconnaissance éventuelle de la directive services pouvait ainsi être utilement invoqué.

Le Conseil d’État a ensuite, pour la première fois, mis en œuvre les critères définis par la directive services et la jurisprudence de la CJUE afin de déterminer si la convention devait être précédée d’une procédure de sélection préalable. 

Estimant d’abord que la convention constituait une activité de service au sens de la directive (dès lors qu’elle permettait l’exploitation de courts de tennis), puis ensuite que cette convention constituait une autorisation au sens de la directive, et enfin que le nombre d’autorisation était limité au sens de la directive, le Conseil d’État a conclu que la convention portant occupation du domaine public, bien que délivré antérieurement au 1er juillet 2017, aurait dû être précédée d’une procédure de sélection préalable en application de la directive services.

Par ces deux décisions, le Conseil d’État précise ainsi les règles applicables préalablement à la délivrance des titres portant sur l’occupation domaniale. Les autorités gestionnaires de leur domaine et les opérateurs économiques peuvent ainsi retenir que :

  • s’agissant de la délivrance des titres portant occupation du domaine public en vue d’une exploitation économique, ces derniers sont obligatoirement soumis à l’organisation d’une procédure de sélection préalable, soit par application des articles L. 2122-1 et L. 2122-1-1 du CG3P s’ils ont été délivrés à compter du 1er juillet 2017, soit éventuellement en application des articles de la directive services, s’ils ont été délivrés entre le 28 décembre 2009 et le 1er juillet 2017 ;
  • s’agissant des titres portant occupation du domaine privé, ces derniers ne sont pas soumis à l’obligation d’organiser d’une procédure de sélection préalable dès lors qu’aucun texte en droit interne ne le prévoit, et que la directive services ne peut, selon le Conseil d’État, être utilement opposée.
    Sur ce dernier point, il convient néanmoins de rester attentif à la position des juridictions européennes qui pourraient, compte tenu des objectifs poursuivis par la directive dite services, statuer dans un sens contraire à celui du Conseil d’Etat. Demeure toujours la possibilité pour les autorités gestionnaires du domaine de se soumettre volontairement à une procédure de sélection préalable pour les titres d’occupation ou d’utilisation du domaine privé.

(1) CE, 2 décembre 2022, Société Paris Tennis, no 455033, Rec. et CE, 2 décembre 2022, M. D c/ Commune de Biarritz et Société Socomix, no 460100, Rec.
(2) CE, Sect., 3 décembre 2010, Ville de Paris c. Association Paris Jean Bouin, no 338272, Rec.
(3) RDI 2011. 162, obs. S. Braconnier et R. Noguellou ; AJCT 2011. 37, obs. J.-D. Dreyfus sous CE, Sect., 3 décembre 2010, Ville de Paris c. Association Paris Jean Bouin, précité.
(4) Directive 2006/123/CE du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
(5)   Art. 9 et 12 de la directive du 12 décembre 2006 précitée.
(6) CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpressa Srl, aff. C-458/14.
(7) Ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques.
(8) Art. L. 2122-1 et L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques (ci-après « CG3P »).
(9) TJ Mans, 19 août 2021, n°20/00813.
(10) Rép. Min. n°12868, JOAN, 29 janvier 2019, p. 861 ; Rép. Min. n°13180, JO Sénat, 30 janvier 2020, p. 537.
(11) Point 6 – CE, 2 décembre 2022, M. D c/ Commune de Biarritz et Société Socomix, précitée.
(12) Point 14 – CE, 2 décembre 2022, Société Paris Tennis, précitée, faisant application de CE, Ass., 30 octobre 2009, Dame Perreux, n°298348, Rec.

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