Le futur du livrable fiscal : agilité, legal design et intelligence artificielle

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24.11.2025

Dans un environnement fiscal de plus en plus complexe, les attentes des Directions Fiscales vis-à-vis de leurs conseils évoluent rapidement. L’ère des mémos académiques de 40 pages est révolue. Les entreprises, poussées par le besoin d’agilité, exigent désormais des solutions concrètes et rapidement exploitables.

Pour décrypter cette transformation et mettre en lumière les meilleures pratiques, Joëlle Bui, Directrice Fiscale chez Publicis Group, et notre associé fiscaliste, Pierre Bonamy ont balayé les exigences des directions fiscales aujourd’hui.

Ecouter le podcast :

Ce que veulent les Directions Fiscales (et ce qu’elles ne veulent plus)

Joëlle Bui, dont l’équipe gère la fiscalité d’un groupe présent dans plus de 80 pays, souligne que les critères de satisfaction des clients évoluent. Selon elle, l’excellence sur le fond est un prérequis mais les déceptions surviennent souvent lorsque le livrable ne correspond pas aux besoins pratiques de l’entreprise.

Il ressort de la discussion animée par Justine Zavoli, animatrice du podcast TaxTalkers, que ce qui est attendu c’est notamment :

Des réponses et des solutions claires :

L’immense majorité des clients attend une réponse ou une solution à leur problème.

L’Executive Summary :

C’est un élément “extrêmement important”. Les réponses doivent apparaître clairement et tôt dans le document. Joëlle Bui cite l’exemple d’une consultation de 25 pages d’un cabinet indien, pour laquelle elle a dû réclamer un executive summary avant de pouvoir entamer la lecture. Il permet d’exploiter rapidement l’information.

L’approche Pratico-Pratique :

Les livrables doivent permettre aux équipes de gagner du temps. La consultation idéale, selon Joëlle Bui, offre une réponse technique pour le dossier, un résumé facile à transmettre aux non-fiscalistes, et les aspects pratiques pour l’exécution. Par exemple, dans une consultation sur la TVA, il devrait être précisé en pratique comment déclarer l’opération sur une déclaration CA3 (dans quelle case). Sans cette information, la consultation n’est pas exploitable pour le service comptable ou la direction comptable.

La Communication :

Si la Direction Fiscale arrive à exprimer clairement ses attentes dès le départ (guide pratique, arbre de décision, executive summary), le risque d’être déçu est moindre.

L’ère du Legal Design et des modélisations chiffrées

Pour notre associé, Pierre Bonamy, l’expérience montre que les clients n’attendent pas “un traité exhaustif et académique” ni des mémos de dizaines de pages reprenant des règles applicables via des copier-coller du Bofip.

L’expertise passe par une adaptation formelle et quantitative du conseil fiscal :

L’intégration du Chiffrage

Le droit fiscal a la particularité de permettre de poser des chiffres sur l’impact de l’impôt. Si l’avocat ne le fait pas, la question de suivi du client sera inévitablement : “combien cela va-t-il me coûter ?” ou “quel impact cash cela va-t-il avoir ?”.

Il est essentiel de chiffrer ou, à défaut, de donner un ordre de grandeur. Un chiffre est “bien plus parlant que de longs développements techniques”. Pierre Bonamy illustre aussi qu’il faut parfois intégrer le chiffrage en amont de l’analyse pour s’assurer que l’enjeu justifie le volume d’honoraires.

L’adoption du Legal Design

Bien que le legal design soit souvent associé au droit des contrats, il existe de “vraies opportunités” en droit fiscal. Le droit fiscal est objectivement l’un des plus compliqués et il est chiffré.

Les outils de legal design appréciés par les entreprises sont notamment :
Les arbres de décision : Ils permettent de passer de scénario en scénario pour arriver à des conclusions simples, particulièrement efficaces pour des sujets complexes comme la TVA. Notre associé a constaté que les clients étaient beaucoup plus réceptifs à un schéma récapitulatif qu’aux pages précédentes d’analyse.
Les fichiers de modélisation : Des fichiers Excel simplifiés où l’on répond par oui ou non pour obtenir des chiffres ou des recommandations. Ces livrables sont indispensables lorsque l’information doit être utilisée par des opérationnels, commerciaux ou DAF.
Les guides pratiques : Joëlle Bui mentionne avoir retenu un cabinet qui a proposé de restituer sa consultation sous forme de guide pratique, ce qui fait la différence.

Pour Pierre Bonamy, cette approche est d’autant plus nécessaire que la manière dont le droit est pratiqué aujourd’hui est souvent encore calquée sur les formats du contentieux (écriture volumineuse et format imposé par les juridictions), ce qui n’est pas pertinent pour l’avocat conseil.

  • Le rôle de l’avocat sera de poser les questions que le client n’aura pas vu au moment de poser sa question.

    Joëlle Bui, directrice fiscale chez Publicis Group

L’Intelligence Artificielle : catalyseur de la valeur ajoutée

L’arrivée de l’IA (Intelligence Artificielle) n’est “pas surcôtée” selon Joëlle Bui. L’IA peut aider à structurer un format ou sa pensée. Elle est très convaincante dans tout ce qui est productivité et tâches à faible valeur ajoutée.

Joëlle Bui cite l’exemple d’un logiciel fiscal qui, grâce à l’IA, peut analyser la structure du groupe (organigramme) et répondre rapidement à des questions de compliance (ex: taux de retenue à la source sur dividendes entre deux entités, en vérifiant si le certificat de résidence est stocké).

Pour Joëlle Bui, “Le rôle de l’avocat sera de poser les questions que le client n’aura pas vu au moment de poser sa question.

L’IA va “prémâcher la tâche” et rendre redondants les avocats qui se contentaient de copier-coller.

Cela recentre l’avocat sur :

  1. Le Raisonnement et l’Anticipation : L’IA ne parvient pas encore à faire le lien entre plusieurs sources ou à anticiper les questions que le client n’a pas vues. Le rôle du conseil est de poser la question essentielle : “Oui, vous avez pensé à ça, mais attention, avez-vous pensé à ça ?”.

  2. L’Expérience et la Relation de Confiance : Un avocat avec lequel le client a l’habitude de travailler connaît sa structure et ses pays d’implantation, ce qui est “difficilement substituable”. Cette connaissance permet d’aller au-delà de la simple réponse, en anticipant les questions ou en proposant des opportunités.

  • La pression des clients et de l’IA va opérer une forme de tri, forçant l’ensemble de la profession, historiquement un peu plus traditionnelle, à adopter de meilleures pratiques.

    Pierre Bonamy, associé en Droit Fiscal

L’avenir du conseil fiscal

Le futur du livrable fiscal sera marqué par un changement volontaire.

Joëlle Bui estime que les cabinets qui s’adapteront le plus rapidement aux nouvelles attentes du marché (en matière de legal design, de clarté et de chiffrage) seront les mieux placés pour offrir de la valeur ajoutée.

Notre associé en Droit Fiscal, Pierre Bonamy, est optimiste. Il pense qu’il y aura un effet de “contagion positive”. Selon lui, “La pression des clients et de l’IA va opérer une forme de tri, forçant l’ensemble de la profession, historiquement un peu plus traditionnelle, à adopter de meilleures pratiques.

En définitive, la performance future du conseil fiscal se mesurera à sa capacité à conjuguer une expertise technique de haut niveau avec des outils de restitution qui garantissent l’agilité opérationnelle de ses clients.

Notre équipe Droit Fiscal accompagne dirigeants et entreprises dans tous les domaines de la fiscalité avec une expertise renforcée en fiscalité de l’innovation, en actionnariat salarié et dans la gestion des contrôles et contentieux fiscaux.