Brèves de l’immobilier #1
Reinhart Marville Torre vous propose un résumé mensuel des décisions les plus importantes, ainsi que des analyses et des commentaires de notre équipe Immobilier et Urbanisme.
Baux commerciaux
Etat des risques et absence de nullité automatique du bail : la cour de cassation persiste et signe.
La cour de cassation est venue réaffirmer qu’il appartient aux juges du fond de rechercher si le manquement imputé au bailleur est d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation du bail.
Dans cette espèce, qui revenait pour la seconde fois devant la Cour de cassation, la Cour d’appel de Paris avait considéré que la communication d’un état des risques de moins de 6 mois constitue une obligation légale d’information à la charge de la bailleresse, dont le non-respect autorise le locataire à poursuivre la résolution du bail, sans avoir à démontrer un préjudice (CA Paris, Pôle 5 — ch.3, 2 février 2022, n°20/14673). La 3ème chambre civile de la Cour de cassation a censuré cet arrêt, au motif qu’il appartient au juge du fond de rechercher si le manquement reproché au bailleur est suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail.
Cet arrêt peut être rapproché d’un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier (CA Montpellier, 28 septembre 2023, n° 19/02608) qui a prononcé la résolution d’une vente dans une espèce où le vendeur avait transmis de fausses informations dans le cadre de l’état des risques, en déclarant que le bien n’avait fait l’objet d’aucun sinistre lié à une catastrophe naturelle. Postérieurement à la vente, l’acquéreur avait subi une importante inondation et a découvert que le bien avait en réalité déjà fait l’objet de plusieurs sinistres.
La Cour a ainsi sanctionné le non-respect par le vendeur des dispositions de l’article L 125-5 du code de l’environnement, ce qui paraît conforme à la position de la Cour de cassation ci-dessus rappelée.
Civ.3ème, 21/09/2023, pourvoi n°22-15.850
CA Montpellier, 28 septembre 2023, n° 19/02608
Commandement de payer et mauvaise foi du bailleur
La mauvaise foi du bailleur s’apprécie au moment de la délivrance du commandement de payer. Le bailleur ne peut invoquer la clause résolutoire de mauvaise foi, sous peine de nullité du commandement de payer.
Pour autant, la Cour de cassation considère que lorsqu’une ordonnance de référé passée en force de chose jugée a accordé au titulaire d’un bail à usage commercial des délais pour régler un arriéré de loyers et le loyer courant en suspendant la réalisation de la clause résolutoire, le non-respect de ces délais rend la clause définitivement acquise sans que la mauvaise foi de la bailleresse à s’en prévaloir puisse y faire obstacle.
On relèvera qu’en l’espèce, le preneur restait devoir au bailleur un solde minimum (31 €).
Droit de préemption Pinel : exclusion des locaux à usage industriel
Précision du champ d’application du droit de préemption Pinel, après une relative extension aux locaux à usage de bureaux abritant une activité commerciale.
La Cour de cassation confirme que les locaux à usage industriel sont exclus du champ d’application de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce et en profite pour définir ce qu’il faut entendre par “locaux à usage industriel”, à savoir tout local principalement affecté à l’exercice d’une activité qui concourt directement à la fabrication ou à la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant.
Adaptation de la clause d’indexation nécessaire en cas de modification du loyer en cours de Bail et cantonnement de la sanction du réputé non écrit
Toute modification du loyer en cours de bail doit s’accompagner d’une adaptation de la clause d’indexation, pour éviter de voir caractérisée une distorsion contraire aux dispositions de l’article L.112-1 du CMF.
Dans cette affaire, le loyer avait été modifié par voie d’avenant à compter du 12 mars 2018, sans modification de la date d’indexation, laquelle intervenait chaque année au 1er octobre. La Cour d’Appel de Paris avait ainsi relevé que la modification du loyer, sans modification de la période d’indexation, créait une distorsion contraire aux dispositions de l’article L.112-1 du Code monétaire et financier, justifiant que la clause d’indexation soit réputée non écrite en son entier.
La Cour de cassation confirme que l’absence d’adaptation de la clause d’indexation est à l’origine d’une distorsion, mais infirme l’arrêt de la Cour d’Appel en ce qu’il répute non écrite la clause d’indexation en son entier, alors que seule la stipulation créant la distorsion prohibée devait être réputée non écrite.
Limites de la clause de souffrance
La renonciation du preneur aux dispositions de l’article 1724 du Code civil ne joue que pour autant que les inconvénients causés au preneur par les travaux du bailleur ne soient pas anormaux et excessifs.
Dans cette affaire, les travaux réalisés par le bailleur ont consisté en des travaux de restructuration lourd, ayant duré 16 mois, à l’origine de nuisances sonores, de poussières et ayant gêné l’accessibilité des locaux, sans que le bailleur ait démontré avoir mis en place des mesures pour limiter la gêne occasionnée. Il a dont été jugé que les inconvénients causés par ces travaux avaient été anormaux et excessifs, rendant ainsi inopposable au preneur la clause de souffrance figurant au bail et donnant droit à ce dernier à une réfaction de 50 % du loyer sur toute la période des travaux.
Construction
Sous-traitance et garantie de paiement
La cour de cassation dispense le maître d’ouvrage de vérifier la date d’octroi de la garantie de paiement au sous-traitant.
Une société a confié à une autre société deux marchés de construction, lesquels ont été sous-traités.
La sous-traitante a sollicité la nullité des contrats de sous-traitance arguant de ce que les garanties de paiement ne lui avaient pas été remises antérieurement ou concomitamment à la conclusion des contrats.
Déboutée de sa demande, la sous-traitante a formé un pourvoi en cassation, arguant qu’il avait méconnu l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 lui imposant d’exiger de l’entrepreneur principal qu’il justifie avoir fourni la caution, en l’absence de délégation de paiement. La Cour de cassation a déclaré qu’il n’incombe pas au maître d’ouvrage de s’assurer que la remise de la garantie de paiement soit intervenue préalablement ou concomitamment à la signature du sous-traité.
Ventes immobilières
Opposabilité des restrictions au droit de propriété en cas de publication auprès du SPF
La Cour de cassation rappelle que les documents tendant à restreindre le droit de propriété sont opposables aux propriétaires de lots même s’ils n’ont pas été reproduit dans leur acte de vente dès lors qu’ils sont publiés auprès du SPF.
Dans le cadre de la construction d’un groupement d’habitations, le promoteur avait établi des règles contractuelles relatives à ce groupement d’habitations. Les demandeurs poursuivaient la destruction de constructions ne satisfaisant pas à ces règles contractuelles.
La Cour d’appel avait rejeté leurs demandes au motif que ces règles n’avaient été ni reproduites ni annexées dans l’acte de vente.
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en estimant que la seule publication auprès du SPF suffit à conférer un caractère réel à ces règles contractuelles et à les rendre opposables aux acquéreurs des lots,
Garantie des vices cachés et délais d’action
La Cour de cassation clarifie l’application dans le temps de l’article 1648 du Code civil consacré à la garantie des vices cachés. Les 2 ans sont un délai de prescription et non de forclusion. Ils commencent à courir à compter de la découverte du vice. La date butoir pour agir est elle de 20 ans à compter de la vente.
Par 4 arrêts en Chambre mixte, la Cour de cassation vient clarifier l’application du délai de 2 ans prévu à l’article 1648 du Code civil consacré à la garantie des vices cachés.
La Cour de cassation vient trancher la divergence entre les chambres de la Cour sur la nature du délai mentionné dans l’article 1648 : le délai de 2 ans est un délai de prescription et non un délai de forclusion (la 1ère Chambre et la Chambre commerciale retenait un délai de prescription alors que la 3ème Chambre retenait un délai de forclusion).
Dès lors, la date butoir pour agir relève de l’article 2232 du Code civil : quelque soit le délai de découverte du vice, aucune action ne peut être menée plus de 20 ans à compter de la vente.
Cour de cassation, Chambre mixte, 21 juillet 2023 (21-15.809, 21-17.789, 21-19.936, 20-10.763)
Urbanisme
Majoration irrégulière du délai d’instruction d’une demande de permis ou d’une déclaration préalable = pas de majoration du délai de droit commun !
Une majoration du délai d’instruction irrégulière (soit parce qu’elle intervient au-delà du délai imparti, soit parce qu’elle ne correspond pas à un cas où une telle majoration est prévue) n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun applicable.
Rappelons que par un arrêt de section du 9 décembre dernier (Conseil d’État, Section, 09/12/2022, 454521), le Conseil d’Etat avait opéré un revirement de jurisprudence en jugeant qu’une demande de production de pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir, n’avait pas pour effet de modifier les délais d’instruction dès lors qu’elle avait été reçue hors délai par le pétitionnaire ou qu’elle, ne portait pas sur une pièce pouvant être demandée. Par conséquent, une décision tacite était susceptible d’intervenir au terme du délai d’instruction non modifié.
Le Conseil d’Etat vient de rendre un arrêt (Conseil d’État, 24/10/2023, 462511) transposant ce principe à la notification de la majoration du délai d’instruction. Ainsi, aux termes de cet arrêt, une modification du délai d’instruction notifiée après l’expiration du délai d’un mois ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l’une des hypothèses de majoration prévues aux articles R 423-24 à R 423-33 du code de l’urbanisme, n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable.
Il précise ensuite, d’une part, que la lettre majorant le délai d’instruction n’est pas une décision faisant grief, et d’autre part, que son illégalité ne peut être excipée dans le cadre d’un recours contre un refus de permis de construire.
Droit au raccordement aux réseaux d’eau et d’électricité du titulaire d’un permis de construire tacite
Si le titulaire d’un permis de construire tacite est fondé à demander un raccordement aux réseaux d’eau et d’électricité, la commune peut exiger une contribution financière, voire concernant l’eau potable, ne pas faire droit à sa demande.
Saisie d’une question écrite relative au droit pour le titulaire d’un permis de construire tacite d’exiger de la commune le raccordement de sa construction aux réseaux d’eau et d’électricité, la ministre chargée des collectivités territoriales répond que si le titulaire est bien fondé à effectuer les démarches auprès de la commune, compétente en matière de distribution d’eau potable et d’électricité, celle-ci pourra cependant exiger une contribution financière. La ministre rappelle en outre la décision Conseil d’Etat, 26 janvier 2021, n° 431494, selon laquelle les communes ne sont tenues de procéder aux raccordements d’eau potable que dans les zones préalablement délimitées dans le schéma de distribution d’eau potable.
Constitutionnalité de l’article L600-8 du Code de l’urbanisme
Est conforme à la Constitution l’article L600-8 du Code de l’urbanisme qui prévoit qu’en l’absence d’enregistrement d’une transaction, celle-ci est réputée sans cause et les sommes versées ou correspondant au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition.
Le Conseil constitutionnel a été saisi la Cour de cassation d’une QPC relative à la constitutionnalité du 2e alinéa de l’article L600-8 du Code de l’urbanisme. Cet article prévoit que “toute transaction par laquelle une personne ayant demandé ou ayant l’intention de demander au juge administratif l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’engage à se désister de ce recours ou à ne pas introduire de recours en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature doit être enregistrée conformément à l’article 635 du CGI”.
En l’absence d’un tel enregistrement dans le délai d’un mois, la transaction est réputée sans cause et les sommes versées ou correspondant au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition, le titulaire de l’autorisation conservant lui, en pratique, le bénéfice du désistement du recours.
Le Conseil constitutionnel décide que cet article est conforme à la Constitution, estimant que “le législateur a souhaité dissuader la conclusion de celles mettant fin à des instances introduites dans le seul but d’obtenir indûment un gain financier” et que “les dispositions contestées n’ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet d’interdire aux personnes intéressées de former un recours contre une autorisation d’urbanisme” mais “se bornent à sanctionner la méconnaissance de l’obligation d’enregistrement de la transaction par laquelle l’auteur du recours s’est engagé à se désister”.