Trois arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 ont semé le trouble au sein des Directions des Ressources Humaines mais aussi des Directions Financières.
Les trois décisions concernent l’acquisition des droits à congés payés pendant la suspension du contrat de travail du fait d’un arrêt maladie. A priori, ce sujet technique n’aurait pas dû susciter d’émoi. Mais le nombre et le ton des réactions montrent que ces décisions sont tout simplement explosives par leurs effets potentiels et leurs conséquences.
La presse en parle
- Droit à congés payés en arrêt maladie : comment le gouvernement veut amortir le choc pour les entreprises – Les Echos – 8 décembre 2023
Ce qu’il faut retenir des nouvelles règles sur les congés payés
La Cour de cassation écarte les dispositions de la loi française pour appliquer celles issues du droit de l’Union européenne avec des conséquences importantes :
- Le salarié en arrêt maladie d’origine non professionnelle continue d’accumuler des droits à congés pendant son arrêt
- Pour le salarié en arrêt maladie d’origine professionnelle : l’accumulation de congés payés ne peut être limitée à un an et la limitation des droits à report de congés acquis d’un exercice sur l’autre n’est pas évoquée
- La prescription en matière d’indemnité de congés payés évolue et ne commence à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés
- Ces évolutions jurisprudentielles sont d’application immédiate et pourraient donc avoir un effet rétroactif, lourd en termes de conséquences financières
- Les entreprises doivent se préparer à réagir face à ces décisions, bien que l’intervention du législateur soit encore à venir
Si ces décisions peuvent se justifier en droit, elles ne sont pas exemptes de critiques et appellent plus que jamais l’intervention du législateur.
Quels sont les apports de ces arrêts et pourquoi l’intervention du législateur est-elle attendue ?
1. Le salarié en arrêt maladie d’origine non professionnelle continue d’accumuler des droits à congés pendant son arrêt (pourvoi n°22.-17.340)
La Cour de cassation a décidé d’écarter les dispositions du droit français et de faire application du droit de l’Union européenne. Dès lors, le salarié en arrêt maladie d’origine non professionnelle continue d’accumuler des droits à congés pendant son arrêt.
Le droit français[1] prévoit que « Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur ». Le salarié en arrêt maladie d’origine non professionnelle n’accumule donc pas de congés payés pendant la période de son arrêt maladie.
Le droit de l’Union européenne[2] prévoit au contraire que l’absence du salarié du fait de son état de santé n’a pas d’impact sur son droit à congés.
La Cour de cassation est allée plus loin que les textes européens visant quatre semaines de congés. Elle a en effet étendue le principe d’acquisition des droits à congés pendant la maladie à tous les types de congés légaux et conventionnels.
2. Arrêt maladie d’origine professionnelle : l’accumulation de congés payés ne peut être limitée à un an (pourvoi n°22-17.638)
La Cour de cassation a décidé d’écarter les dispositions du droit français au profit du droit de l’Union européenne. Pour le salarié en arrêt maladie d’origine professionnelle : l’accumulation de congés payés ne peut être limitée à un an.
Le droit français[3] prévoit que le salarié dont le contrat est suspendu pour cause d’accident du travail / maladie professionnelle (AT/MP) ne peut acquérir de congés payés au-delà d’une durée ininterrompue d’un an.
Le droit de l’Union européenne prévoit quant à lui que le salarié victime d’un AT/MP peut bénéficier d’un droit à congé pour l’intégralité de son arrêt maladie lié à cet AT/MP.
Là aussi, la Cour de cassation a écarté le droit français pour appliquer le droit de l’Union européenne laissant la place à une question quant à l’application dans le temps :
- Est-il possible de limiter le report des congés acquis par le salarié malade ?
Si un salarié est malade pendant plusieurs années et qu’il continue à accumuler des droits à congés sans limite de temps, est-il au moins possible de limiter le report de ses droits à congés d’un exercice sur l’autre ?
Une telle limite pourra être posée par le législateur ou par les conventions/ accords collectifs. La CJUE a déjà admis que les dispositions européennes n’étaient pas incompatibles avec des dispositions ou pratiques nationales limitant à une période de report de 15 mois le droit au congé annuel[4].
Des précisions de la part du législateur sont attendues.
3. Prescription sur le droit à l’indemnité de congés payés (pourvoi n°22-10.529)
La jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation considérait que le point de départ du délai de prescription était fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris[5].
Néanmoins, dans l’arrêt susvisé, la chambre sociale fait évoluer sa jurisprudence au regard du droit de l’Union européenne[6] et indique que le point de départ de la prescription de l’indemnité de congés payés ne commence à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés.
A toutes fins utiles, rappelons qu’il appartient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour que le salarié puisse bénéficier de son droit à congé. En cas de contentieux, l’employeur doit rapporter la preuve de ses diligences.
4. A partir de quand ces arrêts s’appliquent ? Quid des périodes d’arrêts maladie antérieures au 13 septembre 2023 ?
Ces arrêts sont d’application immédiate. Le sort des périodes d’arrêts maladie antérieurs aux arrêts commentés est la question qui inquiète le plus les entreprises tant les coûts pourraient être considérables. En principe et sauf précision contraire de la Cour de cassation, la jurisprudence a un effet rétroactif.
En effet, les salariés en arrêt maladie avant le 13 septembre 2023 pourraient :
- Pour les salariés ayant quitté l’entreprise: solliciter un rappel de salaire au titre des congés payés acquis sur des périodes d’arrêt maladie sur les trois dernières années (prescription en matière de salaire) ;
- Pour les salariés toujours en poste: solliciter des droits à congés sur les deux dernières années (prescription en matière d’exécution du contrat de travail). En revanche, ils ne pourront pas solliciter le paiement d’indemnités de congés payés. En effet, rappelons que le versement d’une indemnité de congés n’est possible qu’après la rupture du contrat de travail (art. 7 de la Directive 2003/88).
5. Comment réagir face à ces nouvelles décisions et aux éventuelles demandes des salariés ?
Des évolutions législatives à venir ?
Le Ministère a été interrogé sur la portée de ces arrêts et la nécessité d’une intervention législative. En effet, cette modification de la loi décidée par les juges pose plusieurs problèmes :
- Elle rend a posteriori illicites des pratiques qui étaient parfaitement régulières et conformes à la loi ;
- Elle est incomplète et source d’insécurité juridique ;
- Elle va multiplier les contentieux ;
- Elle est injuste dans la mesure où les conséquences d’une telle jurisprudence, si elle est appliquée rétroactivement, va encore peser sur les actifs et provoquer des déséquilibres dans les comptes sociaux sans contrepartie de productivité.
Le Ministère ne s’est pas encore exprimé. Il a simplement indiqué que le législateur interviendrait probablement, sans préciser de délai.
Recommandations à mettre en place
Dans l’intervalle, les préconisations à l’attention des entreprises sont les suivantes :
- Dès maintenant, les gestionnaires de paye doivent reparamétrer leur outil de gestion des congés pour que chaque salarié en arrêt maladie d’origine professionnelle ou non continue d’accumuler des droits à congés pendant leur arrêt maladie ;
- Faire le point sur les dispositions conventionnelles applicables dans l’entreprise : Sont-elles conformes à ces nouvelles jurisprudences ? Prévoient-elles des règles sur le report des jours de congés ?
- Réaliser en interne une estimation des coûts liés à une régularisation pour les salariés concernés sur les trois dernières années pour les salariés ayant quitté l’entreprise et provisionner cette somme dans l’attente de précision et/ou de modification législative. Un audit doit aussi être réalisé s’agissant des salariés en poste pour connaitre le nombre de jours de congés qui pourraient être revendiqués sur les deux dernières années;
- Anticiper les questions et demandes des représentants du personnel et des salariés et préparer une communication adéquate en ce sens: Quelle position la société va adopter ? Envisage-t-elle une régularisation pour le passé ? Sous quel délai ? Pourquoi ?
- Pour suivre les évolutions liées à la prescription, même si le nombre de congés payés figure sur le bulletin de salaire, nous recommandons aux entreprises de mettre en place des alertes à destination des salariés qui n’auraient pas pris leurs congés avant la fin de la période de référence. Une alerte faite 4 mois puis 2 mois avant la fin de la période de référence pourrait ainsi laisser le temps au salarié d’organiser son départ en congés avec sa hiérarchie avant la fin de la période de référence.
Vos interlocuteurs
Catherine Broussot-Morin, avocate associée – voir le profil
Priscilla Jaeger, avocate – voir le profil
T : 01 53 53 44 44