Brèves de l’immo #4

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25.03.2024

Reinhart Marville Torre vous propose un résumé mensuel des décisions les plus importantes, ainsi que des analyses et des commentaires de notre équipe Immobilier et Urbanisme.

Baux commerciaux

Clause de suspension des paiements des loyers et Covid-19

Une interprétation littérale de la clause de suspension de paiement des loyers applicable en cas de “survenance de circonstances exceptionnelles et graves (…) affectant le bien”

Le bail stipulait la clause suivante : “Dans le cas où la non sous-location du bien résulterait (…) de la survenance de circonstances exceptionnelles et graves (…) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale, (…), le loyer (…) ne sera pas payé jusqu’au mois suivant la fin du trouble de jouissance”.

Le preneur invoquait la crise du Covid-19 et les mesures gouvernementales y relatives pour justifier du non-paiement des loyers.

La Cour de cassation, estimant la clause précitée suffisamment claire, retient que le contexte sanitaire n’a pas affecté les biens loués “eux-mêmes” mais leurs conditions d’exploitation, de sorte que la Cour d’appel a justifié sa décision d’ordonner au preneur le versement par provision des loyers.

Cass. 3e civ., 8 février 2024, n°22-17.620

Abattement de la valeur locative en cas de transfert au preneur de la taxe foncière

La Cour de cassation vient réaffirmer que le transfert au preneur du montant de la taxe foncière justifie un abattement de la valeur locative dans le cadre de la fixation du loyer de renouvellement.

Dans le cadre d’une procédure en fixation du loyer de renouvellement, le preneur invoquait en cause d’appel que le transfert au preneur des obligations incombant normalement au bailleur (au cas particulier le paiement de la taxe foncière), justifiait un abattement sur la valeur locative.

La Cour d’Appel n’avait pas fait droit aux prétentions du preneur, au motif que “le fait que le preneur se soit engagé à acquitter les taxes foncières ne justifie pas un abattement pour charges exorbitantes, dès lors, d’une part, que ce transfert de charges est couramment pratiqué dans le secteur, d’autre part, que les termes de comparaison retenus par l’expert correspondent à des baux mettant la taxe foncière à la charge du preneur”.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en retenant que le paiement de la taxe foncière incombant normalement au bailleur, le transfert de cette obligation au preneur justifie, par lui seul, un abattement sur la valeur locative. La Cour de cassation persiste et signe, de sorte que le montant de la taxe foncière continuera, pour un moment encore, à être déduit du montant de la valeur locative en renouvellement.

Cass. 3e civ., 8 février 2024, n°22-24.268

Cession de fonds de commerce et défaut d’imputabilité au cessionnaire des motifs graves et légitimes imputables au cédant pour refuser le paiement d’une indemnité d’éviction

Si le bailleur délivre congé sans offre d’indemnité d’éviction et que le preneur cède ensuite son fonds de commerce, le bailleur ne pourra reprocher au cessionnaire que des manquements qui lui sont personnellement imputables, peu importe que le congé ait été délivré avant la cession.

A la suite de nombreux impayés de loyers et charges, un bailleur avait signifié à son preneur un congé comportant refus de renouvellement et de paiement d’une indemnité d’éviction pour motifs graves et légitimes. Le preneur avait ensuite cédé son fonds de commerce.

Le cédant et le cessionnaire ont assigné le bailleur en paiement d’une indemnité d’éviction.

La Cour de cassation a confirmé la décision d’appel qui avait retenu que le bailleur ne pouvait invoquer contre le cessionnaire que des faits personnellement imputables à ce dernier et non ceux commis par le cédant, de sorte que le refus de paiement d’une indemnité d’éviction n’était pas justifié.

Cass., 3e civ., 14 décembre 2023, n°22-13.661

La Cour d’Appel de Paris confirme une jurisprudence désormais bien établie en présence d’une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse

Aux termes de cette décision, la Cour d’Appel de Paris adopte une appréciation stricte de la coïncidence devant exister entre la période de variation de l’indice et la durée écoulée entre chaque révision, vient rappeler que la divisibilité de la clause d’indexation n’est pas automatique.

Dans cette affaire, un bail ayant pris effet le 6 avril 2003 et modifié par voie d’avenant, prévoyait :

  • une indexation annuelle au 1er janvier de chaque année et, pour la première fois, le 1er janvier 2006 ;
  • une clause dite “tunnel” libellée en ces termes : “le bailleur consent au preneur la mise en place d’un “tunnel” dont la prise d’effet interviendra rétroactivement à compter du 1er janvier 2009. C’est ainsi que les parties conviennent de modérer les effets de l’application de la clause d ‘échelle mobile prévue au bail du 31 décembre 2003 dans un « tunnel » ayant pour plancher minimum 1,5% (un et demi pour cent) et pour plafond 3,5% (trois et demi pour cent). Il en résulte que l’actualisation du montant du loyer sera celle résultant de l’application de ladite clause avec un minimum de révision fixé à 1,5% et un maximum à 3,5%”.

Le preneur fait assigner son bailleur en nullité de la clause d’indexation.

Sur la périodicité de la clause d’indexation, la Cour d’appel de Paris la répute non écrite en ce qu’il n’y a pas de coincidence entre la période de variation de l’indice (3 ans) et la durée de la révision (2 ans 8 mois et 25 jours).

Sur l’encadrement de la clause d’indexation, la Cour d’appel la répute également non écrite au motif qu’en prévoyant un plancher minimum de 1,5%, le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse, ce qui fausse donc le jeu normal de l’indexation dont le propre est de faire varier le loyer tant à la hausse qu’à la baisse.

A noter que ces deux clauses sont réputées non-écrites dans leur intégralité, la Cour d’appel retenant dans les deux cas l’impossibilité de procéder à une divisibilité de la clause puisque :

  • pour la clause initiale, elle ne peut survivre sans la suppression de la mention relative à la première indexation ;
  • pour la clause modifiée par avenant, la suppression du membre de phrase relatif à la création du tunnel et de l’indexation uniquement à la hausse ne permet aucunement d’indexer le loyer autrement.

Enfin, pour le remboursement des sommes dues, la Cour d’appel de Paris considère que la répétition de l’indu doit être calculée non pas à partir du loyer initial, mais du loyer acquitté à la date du point de départ du délai de prescription.

CA Paris, Pôle 5, chambre 3, 7 Décembre 2023 – n° 21/15328

TABIF : la CAA de Paris refuse la qualification commerciale à des locaux affectés à une activité de coworking

Pour mémoire, la qualification commerciale est très avantageuse au regard de la TABIF dont les tarifs sont plus bas et les seuils plus hauts qu’en matière de bureaux.

La Cour relève dans cet arrêt d’espèce notamment que « la description sur le site internet de la société des prestations offertes à la clientèle, la production du contrat de prestations de service conclu avec les clients ainsi que des conditions générales de vente ne permettent pas de rapporter la preuve de l’importance quantitative de telles prestations et d’établir qu’elles revêtiraient autre chose qu’un caractère accessoire à l’activité principale de la société Deskopolitan consistant à fournir à ses clients des locaux à usage de bureaux. »

Cet arrêt, n’interdit pas le principe de la qualification de locaux commerciaux pour des locaux de coworking. Toutefois, en pratique, une telle qualification ne devrait être possible que si les prestations offertes ne sont pas accessoires.

En l’état actuel des offres, il nous semble difficile de défendre que la fourniture de locaux à usage de bureaux puisse ne pas être l’activité principale des sociétés de coworking.

CAA Paris, 15 mars 2024, n° 23PA00132
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Copropriétés

Un copropriétaire n’est pas recevable à demander l’annulation de l’AG ayant donné quitus au syndic mais peut chercher sa responsabilité délictuelle

Le quitus donné par l’assemblée générale des copropriétaires au syndic est sans effet sur l’engagement de la responsabilité délictuelle du syndic.

L’article 42, alinéa 2, de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 prévoit que “Les actions en contestation des décisions des assemblées générales doivent, à peine de déchéance, être introduites par les copropriétaires opposants ou défaillants dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’assemblée, sans ses annexes.

En l’espèce, un immeuble soumis au statut de la copropriété présentait de graves désordres de structures imposant son étaiement et a fait l’objet d’un arrêté de péril imminent. La cour d’appel a retenu que la négligence du syndic, à compter de 2010, était à l’origine du retard de réalisation des travaux et de la pose d’un étaiement qui avait dû être maintenu du 3 octobre 2013 au 1er octobre 2018, et a ainsi légalement justifié sa décision de condamner le syndic à indemniser la copropriétaire des préjudices financier et de jouissance subis.

La Cour de cassation juge que le copropriétaire, qui vote en faveur d’une résolution de l’assemblée générale du syndicat des copropriétaires donnant quitus au syndic, s’il n’est pas recevable à demander, en application de l’article 42, alinéa 2, de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, l’annulation de cette résolution, peut rechercher la responsabilité délictuelle du syndic pour obtenir réparation d’un préjudice personnel né de sa faute.

Cass. 3e civ., 29 février 2024, FS-B, n° 22-24.558

Urbanisme

Application d’une mise en conformité des lieux suite à un changement de destination en infraction avec le PLU

Emporte mise conformité des lieux, telle que prévue aux articles L. 610-1 et L. 480-5 du code de l’urbanisme, un changement de destination d’un bâtiment non autorisé par le PLU.

Un exploitant d’une activité d’ostréiculture transforme son bâtiment, initialement destiné à stocker et conditionner des crustacés, en poissonnerie et lieu de restauration.

La Cour de cassation suit le raisonnement de la cour d’appel, et énonce que l’activité de restauration issue du changement de destination était exercée en infraction avec le PLU, lequel ne permettait le changement de destination des bâtiments existants que s’ils étaient nécessaires à un intérêt général lié à la mer et aux activités de la mer.

En conséquence, les mesures de remise en état étaient justifiées au visa des articles L. 610-1 et L. 480-5 du code de l’urbanisme.

Cass. crim., 6 février 2024, n° 23-81.748, FS-B

Caractère externe de l’illégalité tenant à l’absence d’évaluation environnementale préalable à la mise en compatibilité du PLU

L’absence d’évaluation environnementale préalable à la mise en conformité d’un PLU est sans incidence sur la légalité de l’autorisation délivrée.

L’évaluation environnementale, nécessaire préalablement à la mise en compatibilité du PLU, n’avait en l’espèce pas été réalisée, de sorte que l’illégalité d’une autorisation d’exploiter un parc éolien était invoquée sur ce fondement.

Fidèle à sa jurisprudence SCI du Petit Bois (CE, 2 octobre 20020, n°436934), le Conseil d’Etat considère toutefois qu’en l’espèce, l’absence d’évaluation environnementale constitue un vice de légalité externe, reposant sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet ayant fait l’objet de l’autorisation litigieuse, et n’étant pas de nature à exercer une influence directe sur des règles d’urbanisme applicables au projet.

Un tel vice de légalité était donc sans incidence sur la légalité de l’autorisation.

CE, 5 févr. 2024, n° 463620, Sté Doubs Ouest Energies 2 : Lebon T.

Absence d’indemnisation du préjudice relatif à l’expropriation d’une construction irrégulière

L’expropriation d’une construction édifiée illégalement n’ouvre pas droit à indemnisation, même en cas de prescription de l’action en démolition.

La Cour de cassation considère que l’acquisition de la prescription de l’action en démolition d’une construction irrégulière est sans incidence sur le caractère irrégulier de cette construction, de sorte que l’exproprié n’est pas fondé à réclamer une indemnisation sur le fondement de la perte d’un droit juridiquement protégé.

L’exproprié ne bénéficie dès lors, pour l’expropriation de son terrain non constructible, que d’une indemnité de dépossession fixée par référence à la valeur du terrain nu.

Cass. 3e civ., 15 février 2024, n° 22-16.460, FS-B

Ventes immobilières

La SCI n’a pas qualité de vendeur professionnel

La société civile immobilière n’étant pas, par nature, un vendeur professionnel, il peut aménager conventionnellement sa garantie des vices cachés

La SCI s’était donné comme objet social l’acquisition, l’administration et l’exploitation par bail, location ou autrement, de tous les immeubles bâtis ou non bâtis, de toutes parts de sociétés civiles à prépondérance immobilière ou non, dont la société pourrait devenir propriétaire par voie d’acquisition, d’apport, d’échange ou autrement, et la propriété de biens meubles, d’actions, de titres de toutes parts sociales ou de toutes parts d’intérêts cotées ou non, cotées en bourse et plus généralement toutes opérations pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’objet pourvu que ces opérations ne modifient pas le caractère civil de la société.

Cet objet social est usuel et il n’est pas établi que la société avait une activité habituelle d’achat et de revente de biens, serait propriétaire de plusieurs biens dont elle assurerait la gestion et l’entretien, aurait rénové ou restructuré elle-même l’immeuble vendu.

La simple mise en location du bien durant plusieurs années est insuffisante pour lui conférer la qualité de professionnel.

Par conséquent, la SCI n’est pas réputée avoir connaissance des vices affectant l’immeuble. Elle est donc, par principe, fondée à se prévaloir de la clause excluant la garantie des vices cachés.

CA Douai, 1re ch., 1re sect., 1er févr. 2024, n° 21/01622 : JurisData n° 2024-001099

Point de départ de l’action en responsabilité dans un investissement immobilier locatif

Dans une opération d’investissement locatif où le remboursement de l’emprunt est différé, le point de départ de la prescription de l’action en réponsabilité est différé au jour où le risque est avéré, soit au jour du début de remboursement de l’emprunt

L’article 2224 du code civil prévoit que les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Pour déclarer irrecevable l’action des acquéreurs, l’arrêt retient que le point de départ de la prescription se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, que les acquéreurs invoquent des manquements au devoir d’information et de conseil par transmission d’informations erronées sur la valeur de l’appartement vendu, que la valeur du bien immobilier que l’on envisage d’acquérir est un élément accessible et connu au jour de l’acquisition.

La cour de cassation censure et décide que dans une opération d’investissement immobilier locatif avec défiscalisation comportant un emprunt dont le remboursement du capital était différé à dix ans, le point de départ de l’action en responsabilité engagée par l’acquéreur contre des professionnels pour manquement à leurs obligations respectives d’information, de conseil, ou de mise en garde, est le jour où le risque s’est réalisé, soit celui où l’acquéreur a appris qu’il serait dans l’impossibilité de revendre le bien à un prix lui permettant de rembourser le capital emprunté.

Cass. 3e civ., 1er février 2024, n° 22-13.446, FS-B