L’ampleur inédite de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la Covid-19 et les mesures gouvernementales adoptées pour en limiter les effets ont souvent bouleversé les relations commerciales et les conditions d’exécution des contrats en cours.

Les premières décisions rendues mettent en lumière les fondements juridiques susceptibles d’être exploités en cas de difficulté ou d’impossibilité d’exécuter un contrat. Elles permettent également de tirer quelques enseignements.

I. ETAT DES LIEUX

Force majeure / Imprévision : contentieux EDF / Fournisseurs d’électricité

Le contrat-type de la Commission de Régulation de l’Energie conclu entre EDF et les acheteurs d’électricité définit la force majeure comme étant « un évènement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques normales ». Confrontée du fait de la crise sanitaire à une baisse brutale de la consommation d’énergie et une baisse des prix la contraignant à revendre à perte, Total a demandé que son obligation de livraison et de paiement soit suspendue. Par ordonnance du 20 mai 2020, le Juge des référés du Tribunal de commerce de Paris lui a donné raison en tirant argument de la définition élargie de la force majeure figurant au contrat.

Par un arrêt du 28 juillet 2020, la Cour d’appel de Paris a confirmé cette position en prenant également en compte l’étendue de la définition contractuelle de la force majeure, en particulier son renvoi à la notion de « circonstances économiquement acceptables »

Rappelons qu’alternativement à la force majeure, la révision ou la résolution du contrat peut être recherchée sur le fondement de l’imprévision, à condition qu’elle n’ait pas été expressément exclue du contrat liant les parties.

Exception d’inexécution ou pour risque d’inexécution : contentieux locataires commerçants / bailleurs

L’interdiction administrative de recevoir du public a convaincu certains commerçants, privés de la possibilité d’exercer leur activité, d’agir contre leur bailleur afin d’obtenir judiciairement la suspension de l’exigibilité de leurs loyers. Dans d’autres cas, les contentieux sont nés d’une initiative des bailleurs agissant en recouvrement des loyers impayés. Outre la force majeure, les locataires ont invoqué l’exception d’inexécution et la destruction de la chose louée.

Dans un récent arrêt du 5 novembre 2020, en réponse à une action du bailleur, la Cour d’appel de Grenoble a rejeté les moyens soulevés par le locataire aux motifs (i) s’agissant de la force majeure, que ce-dernier ne justifiait pas de difficultés de trésorerie telles qu’il n’était plus en mesure de payer ses loyers et (ii) s’agissant de l’exception d’inexécution, que le bail ne subordonnait pas le paiement des loyers à une occupation particulière des locaux ni à aucun taux de remplissage.

Même si à ce jour, les actions engagées n’ont pas connu le succès escompté, selon le libellé du contrat de bail, le fondement de l’exception d’inexécution semble être le moyen le plus sérieux à la disposition des locataires.

Comportement déloyal : contentieux franchisés / FnacDarty

Réunis au sein d’un groupement, des franchisés de l’enseigne de distribution Fnac-Darty, s’estimant lésés par l’attitude de leur franchiseur durant le premier confinement, ont engagé à son encontre une action en réparation devant le Tribunal de commerce de Paris. Ils reprochent notamment à l’enseigne un mauvais choix de gestion l’ayant conduite à suspendre les approvisionnements, les contraignant de facto à fermer leurs magasins, alors que leurs activités (la vente de produits électroménagers) n’étaient pas interdites.

Bien qu’on puisse imaginer que ce contentieux trouve sa source dans un malaise plus profond, son existence confirme la sensibilité des rapports entre franchisés et franchiseurs qui, dans un contexte de crise exceptionnel, invite la tête de réseau à manifester une particulière vigilance à l’égard de ses affiliés.

La procédure est en cours.

II. ENSEIGNEMENTS A TIRER

Aucun enseignement de portée générale ne peut encore être tiré des premières décisions rendues. Chaque cas est spécifique et nécessite avant tout de se référer au contrat, en particulier, s’il en existe une, à la clause de force majeure dont l’efficacité sera fonction de son contenu. En toute hypothèse, la décision de suspendre l’exécution des obligations litigieuses dépendra de l’effectivité des difficultés, notamment de trésorerie, rencontrées par le demandeur.

Compte tenu des aléas propres à toute démarche judiciaire, il est recommandé au premier stade de favoriser la recherche d’une solution commerciale. Tel est d’ailleurs le sens de la réforme de la procédure civile entrée en vigueur le 1er janvier 2020, qui donne priorité aux modes alternatifs de règlement des litiges avant tout contentieux devant les juridictions. C’est également en ce sens que vont la Charte des bonnes pratiques entre commerçants et bailleurs mise en place par le Ministère de l’Economie et des Finances le 3 juin 20205 et la recommandation de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales du 6 juillet 2020 relative aux effets de la crise sanitaire dans la grande distribution alimentaire.

Si néanmoins le recours au Juge ne peut pas être évité, dans le contexte actuel, tout laisse à penser que ce-dernier sera particulièrement attentif au strict respect par les parties des principes de bonne foi et de loyauté qui doivent régir leurs relations commerciales.