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Hausse des prix : quelles solutions possibles pour le titulaire d’un marché public ?

Confrontées aux tensions qui se multiplient sur les marchés des matières premières, les entreprises peuvent connaître des hausses de prix importantes rendant difficile l’exécution des marchés publics dont elles sont titulaires.

Les clauses de réexamen des prix éventuellement prévues par les marchés publics (notamment la clause de révision des prix) devraient en principe permettre au titulaire de bénéficier d’un ajustement de ses prix aux réalités économiques et, ainsi, de pallier les éventuelles difficultés d’exécution résultant de la hausse des prix.
Toutefois, leur mise en œuvre se révèle parfois insuffisante, en particulier, lorsque le montant de la révision est limité par une clause butoir prévue par le contrat.

Dans l’hypothèse où les stipulations du marché sont inadaptées pour tenir compte de la hausse des prix, le titulaire d’un marché public peut, selon les circonstances, se prévaloir de la théorie de l’imprévision pour être indemnisé du préjudice qu’il subit du fait de cette hausse (1) ou solliciter également la modification des stipulations du marché (2).

1. L’indemnisation du préjudice résultant des hausses tarifaires sur le fondement de l’imprévision

La théorie de l’imprévision(1) permet au cocontractant de l’administration d’obtenir de cette dernière une indemnité, par voie conventionnelle ou en engageant sa responsabilité, et vise à couvrir une partie du déficit(2) qu’il a subi pendant l’exécution du contrat du fait d’un événement extérieur aux parties, imprévisible dans sa survenance ou son ampleur et qui a bouleversé temporairement l’équilibre économique du contrat.

Dans une fiche technique actualisée et une réponse ministérielle récemment publiée(3), le Ministère de l’Economie a rappelé que la hausse des prix rencontrée par les opérateurs économiques, causée notamment par les arrêts de production de fournisseurs de matières premières pendant la pandémie, la reprise de l’économie mondiale au cours du second semestre 2020 et le décalage entre la reprise de la demande et les capacités de l’offre sur les marchés, est susceptible, selon les circonstances, de revêtir les caractéristiques de l’imprévision ouvrant droit à indemnité.

Pour bénéficier de cette indemnité, le titulaire du marché doit en faire la demande auprès de l’acheteur en apportant l’ensemble des éléments justifiant l’existence de l’imprévision.

Si le titulaire d’un marché public devrait pouvoir aisément démontrer que la hausse des prix est extérieure aux parties en se prévalant des prises de position récentes du Ministère de l’Economie, il lui sera en revanche plus difficile d’établir que cette hausse a dépassé les prévisions des parties au contrat, particulièrement en présence d’une éventuelle clause de réexamen relative au prix(4). Il devra notamment s’attacher à démontrer que les stipulations du marché sont insuffisantes pour tenir compte de l’ampleur de la hausse brutale des prix rencontrée.

S’agissant du bouleversement temporaire de l’équilibre économique du contrat, le titulaire du marché devra veiller à démontrer, sur la période considérée, qu’il a subi des surcoûts(5), résultant directement de cette hausse des prix, de l’ordre de 10 à 15% du montant du marché.

2. L’adaptation des stipulations du marché à la hausse des prix

Le titulaire d’un marché public peut également proposer à la personne publique de modifier, par avenant, des stipulations du marché en vue de tenir compte de la hausse des prix entravant l’exécution du contrat dans des conditions économiquement viables.

La modification d’un marché public en cours d’exécution en cas de hausse des prix peut être envisagée sur deux fondements distincts(6). La modification des stipulations d’un marché public est possible, quel que soit le motif, lorsqu’elle est de faible montant(7). La modification peut également être rendue nécessaire « par des circonstances imprévues » qu’un « acheteur diligent ne pouvait pas prévoir », auquel cas, elle peut conduire à une augmentation qui n’excède pas 50 % du montant du marché initial(8).

La notion de « circonstances imprévues » rejoint à plusieurs égards les caractéristiques de l’imprévision ci‑avant mentionnées, sans qu’il n’ait encore été confirmé que ces notions devraient être regardées comme strictement équivalentes. Pour justifier sa demande de modification des stipulations du marché, le titulaire du marché devra ainsi s’attacher à démontrer à l’acheteur public que la hausse des prix est imprévisible et rend « nécessaire » la modification des stipulations du contrat en vue d’en poursuivre son exécution dans des conditions répondant aux intérêts initiaux des deux parties.

Les modifications envisagées ne pourront affecter directement les prix contractualisés, lesquels sont dits « intangibles », ni, par extension, les éventuelles clauses de variation des prix(9). Elles pourraient en revanche permettre, selon les circonstances, d’adapter les délais d’exécution du marché ou les modalités d’exécution de certaines prestations pour limiter les surcoûts qui résultent de la hausse des prix et augmentent considérablement le risque de défaillance en cours d’exécution.

Ainsi, dans le contexte économique actuel, les entreprises titulaires de marché public confrontées à une hausse des prix peuvent, en cas d’insuffisance des stipulations contractuelles, obtenir des acheteurs publics la compensation et la limitation des surcoûts qu’ils rencontrent en application de la théorie générale de l’imprévision applicable aux contrats administratifs et des dispositions relatives à la modification des marchés publics prévues par le code de la commande publique.

La prise en compte de ces surcoûts dans la poursuite de l’exécution du marché repose néanmoins sur la coopération des acheteurs publics. Ce n’est qu’en leur adressant une demande motivée en droit et en fait, démontrant, notamment par des éléments comptables, que les surcoûts rencontrés mettent sérieusement en péril la viabilité économique du marché, que les titulaires disposeront d’une chance sérieuse d’obtenir la compensation et la limitation des surcoûts.

Cette coopération devrait néanmoins être facilitée à l’avenir par la nouvelle clause de réexamen prévue dans les cahiers des clauses administratives générales publiés le 1er avril 2021(10), laquelle, sauf dérogation prévue par les stipulations du marché, oblige les parties, en cas de circonstances imprévues modifiant de manière significative les conditions d’exécution du marché, d’examiner de bonne foi leurs conséquences, notamment financières, et les incite à convenir, par avenant, des modalités de prise en charge, totale ou partielle, des surcoûts occasionnés.

  1. Théorie ancienne, d’abord issue de la jurisprudence du Conseil d’Etat avant d’être reprise à l’article L. 6, 3° du code de la commande publique (CCP).
  2. Jusqu’à environ 90% du déficit subi (CE, 21 octobre 2019, Société Alliance, no 419155).
  3. DAJ, Fiche technique « Les marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières », 29 juillet 2021 ;
    Rep. min. no  40503, JOAN du 26 octobre 2021.
  4. Une telle clause ayant précisément pour objet d’adapter les prix à l’évolution, il pourrait être opposé au titulaire qu’il ne pouvait ignorer que la formule de révision des prix ne prendrait que partiellement en compte la hausse des prix ; voir en ce sens, CAA Bordeaux, 3 mai 2011, Sté Gagne, no 10BX01996.
  5. Le simple manque à gagner ne suffisant pas à ouvrir droit à l’indemnité d’imprévision (CE, 25 novembre 1921, Compagnie générale des automobiles postales, Rec p.980).
  6. Les opérateurs économiques et les acheteurs trouveront utile de se référer aux publications suivantes : DAJ, Fiche technique « les marchés publics confrontés à la flambée des prix […] » précitée ; DAJ, Fiche technique « les modalités de modification des contrats en cours d’exécution », 1er avril 2019.  
  7. À savoir, en dessous des seuils définis à l’art. R.2194-8 du CCP. 
  8. Art. L.2194-5 et R. 2194-3 du CCP
  9. Rep. min. no 40503, JOAN du 26 octobre 2021.
  10. Les nouveaux CCAG ont été approuvés par arrêtés du 30 mars 2021 publiés au JORF no 0078 du 1er avril 2021 ; la nouvelle clause de réexamen est prévue à l’art. 25 des nouveaux CCAG Fournitures Courantes et Services ainsi que Prestations Intellectuelles, et à l’art. 54 du nouveau CCAG Travaux.

Vos interlocuteurs en droit public

Lionel Levain, Associé • Mathieu Prats-Denoix & Mike Gilavert, Collaborateurs
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E: gilavert@rmt.fr