Commentaire de la décision Cons. Const. 2 oct. 2020, n°2020-857 QPC

Les candidats évincés d’une procédure de passation sont dans une situation différente selon qu’ils forment un recours contre des contrats de la commande publique soumis au droit privé ou au droit public.

Le Conseil constitutionnel, saisi de trois questions prioritaires de constitutionnalité renvoyées par la Cour de cassation (Com. 8 juill. 2020, n°19-24.270), juge les dispositions de l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009, qui prévoient les recours applicables aux contrats de droit privé relevant de la commande publique, conformes aux principes constitutionnels du droit à un recours juridictionnel effectif (1) et d’égalité devant la loi (2).

Le Conseil constitutionnel a examiné, en premier lieu, l’éventuelle méconnaissance par l’article 16 de l’ordonnance du 7 mai 2009 du droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC).

Selon la requérante à l’origine des QPC, les dispositions de l’ordonnance n’institueraient pas une voie de recours permettant une contestation utile des irrégularités affectant la procédure de passation d’un contrat privé de la commande publique. Elles limiteraient ainsi de manière excessive les manquements susceptibles d’être utilement invoqués par les concurrents évincés.

La différence de situation entre les candidats évincés d’un contrat administratif de la commande publique, qui peuvent former un recours en contestation de validité du contrat, et ceux d’un contrat privé de la commande publique, qui ne le peuvent pas, a été examinée, en second lieu, par le Conseil constitutionnel, afin de déterminer si elle méconnait le principe d’égalité devant la loi prévu à l’article 6 de la DDHC.

1) Les dispositions de l’article 16 de l’ordonnance n°2009-515 ne portent pas d’atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif

La nature de droit privé d’un contrat de la commande publique le soumet à un régime juridique différent de celui applicable à un contrat administratif. L’ordonnance du 7 mai 2009 ouvre la voie à deux types de recours pour les concurrents évincés d’un contrat de droit privé de la commande publique : le référé précontractuel et le référé contractuel.

L’article 16 de l’ordonnance liste limitativement les manquements pouvant donner lieu à une annulation du contrat en référé contractuel : l’absence de toute mesure de publicité requise pour la passation, la méconnaissance des modalités de remise en concurrence pour la passation des contrats fondés sur un accordcadre ou un système d’acquisition dynamique, et la signature du contrat avant écoulement du délai de stand still1. Toutefois, un marché passé selon une procédure adaptée permet au pouvoir adjudicateur de signer le contrat sans avoir à respecter le délai de stand still, limitant le candidat évincé à l’exercice du seul recours contractuel.

La Cour de cassation n’a pas instauré, devant la juridiction judiciaire, une voie de recours similaire à celle ouverte de façon prétorienne par le Conseil d’Etat dans sa jurisprudence Tarn-et-Garonne2. Cette décision permet aux tiers lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine de contester la validité d’un contrat dans le cadre d’un recours de pleine juridiction, en pouvant invoquer d’autres moyens que ceux susceptibles d’être invoqués en référé précontractuel.

Le Conseil constitutionnel juge, cependant, que les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. La limitation des cas d’annulation des contrats de droit privé de la commande publique aux violations les plus graves des obligations de publicité et de mise en concurrence se justifie par l’objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur qui souhaite assurer la sécurité juridique des relations contractuelles.

La décision souligne, par ailleurs, que les dispositions contestées ne font pas obstacle à la formation par le candidat irrégulièrement évincé d’une action en responsabilité contre la personne responsable du manquement dénoncé.

2) Les dispositions de l’article 16 de l’ordonnance du 7 mai 2009 placent les concurrents des contrats privés de la commande publique dans une situation différente et moins favorable que celle des concurrents des contrats administratifs

En plus du référé contractuel, les candidats évincés à l’issue de la procédure de passation d’un contrat administratif de la commande publique, ainsi que les tiers à un tel contrat susceptibles d’être lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses, peuvent former, après la signature du contrat, un recours en contestation de sa validité.

Selon la requérante à l’origine des QPC, l’absence d’une telle voie de droit devant la juridiction judiciaire placerait les concurrents évincés d’une procédure de passation d’un contrat de droit privé relevant de la commande publique dans une situation d’inégalité visà-vis de ceux d’un contrat administratif. Cette différence de traitement ne serait pas justifiée, la sanction des principes de la commande publique devant trouver à s’appliquer indifféremment de la nature administrative ou de droit privé du contrat concerné.

Le Conseil constitutionnel considère néanmoins que les contrats administratifs et les contrats de droit privé répondent à des finalités et à des régimes juridiques différents. L’ordonnance du 7 mai 2009 ne prévoit pas, en effet, de dispositions communes aux deux types de contrats. Les candidats à l’attribution d’un contrat de droit privé étant dans une situation différente des candidats évincés d’un contrat administratif, la différence de traitement ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi.

Les voies de recours instituées pour contester une procédure de passation d’un contrat de droit privé de la commande publique ont donc été jugées suffisantes pour garantir le droit à un recours juridictionnel effectif pour les concurrents évincés. La différence de situation dans laquelle se trouvent ces derniers par rapport aux candidats à une procédure de passation d’un contrat administratif est justifiée par des finalités et des régimes juridiques différents.