Marc Susini et Muriel Puyau ont rédigé un article relatif à la location financière, paru dans Aj Contrat d’août – septembre 2019.

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Les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants ; dès lors, la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne, par voie de conséquence, la caducité des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute.

Tels sont, en matière de location financière, les principes édictés par la jurisprudence aux termes d’une évolution en deux temps, abondamment commentée (« Contrats interdépendants : quel avenir pour la consécration de la caducité fautive ? », Thomas Génicon, Revue des contrats 2017 – n°4, p. 11, Location financière, Dominique Legeais RTD Com. 2017, p.671).

Dans deux premiers arrêts en date du 17 mai 2013, la Chambre mixte de la Cour de cassation a d’abord énoncé le principe de l’interdépendance des contrats concomitants ou successifs s’inscrivant dans une opération incluant une location financière. Il s’agissait, dans ces deux décisions, d’écarter l’application des clauses d’indépendance ou de divisibilité ayant pour objet d’exonérer l’établissement financier de toute responsabilité en cas de défaillance du fournisseur / prestataire et qui avaient pour effet d’obliger le client / locataire à s’acquitter des loyers à échoir, voire d’une clause pénale, nonobstant le fait qu’il ne disposait plus de contrepartie (Cass. Ch. mixte, 17 mai 2013, n°11-22927 ; Cass. Ch. mixte, 17 mai 2013, n°11-22728).

Puis, aux termes de deux nouveaux arrêts en date du 12 juillet 2017, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, reprenant le principe ci-dessus selon lequel les contrats concomitants et successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants, a jugé que la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, « sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute » (Cass. com., 12 juillet 2017, n°15-23552 ; Cass. com., 12 juillet 2017, n°15-27703). Ce faisant, la Chambre commerciale précisait d’une part la nature du mécanisme – la caducité – emportant la disparition des contrats interdépendants, à partir du moment où l’un d’entre eux faisait l’objet d’une résiliation, d’autre part, la sanction encourue par la partie responsable de l’anéantissement de l’ensemble contractuel incluant la location financière.

Les règles ainsi posées, dont les commentateurs ont souligné le caractère impératif et objectif, apparaissent particulièrement rigoureuses à l’égard des établissements financiers, pour qui la location financière est une pure opération de financement et qui ne peuvent plus se prémunir contractuellement des défaillances affectant la relation entre le fournisseur / prestataire et le client / locataire, relation dont la bonne fin leur échappe pourtant. Plus encore, l’établissement financier qui a déjà acquitté le prix du matériel et/ou de la prestation de services entre les mains du fournisseur / prestataire, sera en outre tenu, en cas de caducité du contrat de location financière, de restituer au client / locataire, tout ou partie des loyers qu’il aura reçu. Or, dans le même temps, son droit à être remboursé du prix payé ou à être indemnisé par le responsable de l’anéantissement des contrats, s’avèrera souvent virtuel, la défaillance du fournisseur / prestataire résultant généralement de sa déconfiture et de son placement en liquidation judiciaire.

Au vu d’un tel tableau, la situation des établissements financiers apparait délicate car dépendante de la santé financière et des capacités opérationnelles de ses partenaires, en particulier des fournisseurs / prestataires. Toutefois, la jurisprudence issue des arrêts des 17 mai 2013 et 12 juillet 2017 est nécessairement appelée à évoluer et devrait connaître un rééquilibrage :

  • d’une part, parce que malgré la force des principes qu’ils énoncent, ces arrêts soulèvent de nombreuses questions auxquelles les juges doivent encore répondre ;
  • d’autre part, parce que paradoxalement, lesdits arrêts fondés sur les notions d’interdépendance des contrats et de caducité ont été prononcés dans des cas d’espèce non soumis à l’application de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, laquelle introduit lesdites notions, pour la première fois, dans le Code civil. Or, les options prises par le législateur ne concordent pas parfaitement avec celle retenue par la Cour de cassation.

Nous nous emploierons ci-après, sans prétendre bien entendu à l’exhaustivité, à explorer les évolutions possibles de la jurisprudence relative au sort des contrats s’inscrivant dans une opération incluant une location financière, au regard de trois problématiques essentielles :

  • le périmètre de l’interdépendance des contrats et le champ d’application de la caducité ;
  • les effets de la caducité ;
  • la nature et le quantum du préjudice indemnisable par la partie à l’origine de l’anéantissement de l’ensemble contractuel.

Le périmètre de l’interdépendance des contrats et le champ d’application de la caducité

Il convient tout d’abord de s’interroger sur le périmètre de l’interdépendance des contrats s’inscrivant dans une opération de location financière et partant, sur le champ d’application de la caducité. En d’autres termes, quels sont les contrats susceptibles d’être considérés comme interdépendants les uns des autres et, en conséquence, d’être frappés de caducité en cas de résolution ou de résiliation de l’un deux ?

Dans les quatre arrêts des 17 mai 2013 et 12 juillet 2017, la Cour de cassation adopte une approche purement objective de l’interdépendance entre les contrats, tirée du seul constat d’un lien et d’un but économiques globaux. Les contrats sont interdépendants parce qu’ils participent d’une même opération économique et cette règle est exclusive de toute recherche de la volonté explicite ou implicite des parties (« Contrats interdépendants : quel avenir pour la consécration de la caducité fautive » Thomas Genicon, Revue des contrats 2017, n°4, p.11).

Un arrêt inédit de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 13 février 2019 confirme cette analyse et témoigne d’une conception extensive du périmètre de l’interdépendance (Cass. com. 13 février 2019, n°17-19223).

Dans l’affaire soumise à l’appréciation de la Cour de Cassation, Monsieur M. R., exploitant un garage, avait conclu, le 24 juin 2010, avec une société Odevia, un contrat portant sur la fourniture et l’entretien d’un site internet, et avec la société Locam, un contrat de location, d’une durée de quarante-huit mois, moyennant un loyer mensuel de 180 euros, pour le financement de ces prestations de fourniture et d’entretien du site internet. A même date, Monsieur M. R. avait également conclu avec une société Publiciweb, un contrat de mise à disposition d’un espace publicitaire sur le site internet en cause, en contrepartie du versement d’une rémunération mensuelle de 180 euros.

Ayant cessé d’acquitter les loyers, Monsieur M. R. a été assigné par la société Locam qui avait résilié le contrat de location et qui réclamait le paiement des loyers échus et à échoir, outre une condamnation au titre de la clause pénale. En défense, Monsieur M. R. exposait que le représentant commun des sociétés Odevia et Publiciweb lui avait présenté l’opération comme une opération blanche, le loyer devant être absorbé par la redevance publicitaire et que la gratuité de l’opération n’ayant finalement pas été assurée du fait de la défaillance de la société Publiciweb, les contras étaient privés de cause.

Cette argumentation n’avait pas convaincu la Cour d’appel de Lyon qui avait retenu que l’obligation de payer les loyers contractée envers la société Locam trouvait sa cause dans la mise à disposition du site Web, et non dans la redevance publicitaire que le loueur n’avait pas garantie. Par conséquent, la déconfiture de l’annonceur ne privait pas de cause le contrat de location et, en toute hypothèse, la disparition de la cause du contrat, entendue comme la gratuité de l’opération, ne saurait conduire à la caducité du contrat de location à exécution successive, puisque ce contrat avait été régulièrement résilié pour défaut de paiement des loyers.

Après avoir rappelé les principes selon lesquels les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants, que les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance sont réputées non écrites et que l’anéantissement de l’un quelconque des contrats interdépendants entraîne la caducité des autres, la Chambre commerciale de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel pour manque de base légale faisant grief à la Cour de ne pas avoir recherché si la cessation, par la société Publiciweb, de ses insertions publicitaires et donc du paiement des redevances y afférentes, n’avait pas privé de cause les contrats de mise à disposition d’un site internet et de location dudit site et ainsi justifié la cessation du paiement des loyers, par le locataire / client.

Il ressort de cette décision que l’inexécution d’un contrat de prestation est donc susceptible d’entrainer la caducité du contrat de location financière, quand bien même ce dernier n’a pas pour objet de financer ladite prestation et ce, à partir du moment où le contrat de prestation et le contrat de location financière participent d’une même opération économique.

L’arrêt ci-dessus du 19 février 2019 consacre l’approche purement objective mise en œuvre jusqu’à présent par la Cour de cassation, reposant sur une analyse exclusivement économique de l’ensemble contractuel incluant une location financière.

L’approche retenue par l’article 1186 nouveau du Code civil apparait différente car mêlant un critère objectif prenant en considération l’opération économique concernée et un critère subjectif prenant en considération la volonté des parties. Ledit article dispose en effet, en ses alinéas 2 et 3 que « lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparait, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. La caducité n’intervient toutefois que si le cocontractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement ».

L’article 1186 invite donc le juge à procéder à une recherche relative d’une part au consentement des parties (alinéa 2), d’autre part, à la connaissance par les parties de l’ensemble de l’opération à laquelle elles participent (alinéa 3).

Lorsqu’il s’agira de contrôler que la pluralité de contrats est un élément essentiel du consentement, c’est le consentement du client / locataire qui, a priori, sera sondé (« Les contrats interdépendants dans l’ordonnance du 10 février 2016 », Sarah Bros, La Semaine Juridique Edition Générale, n°38, 19 septembre 2016). L’exécution du contrat de fourniture / prestation de services était-elle une condition déterminante du consentement du client locataire au contrat de location financière conclu avec l’établissement financier loueur ? La réponse a priori ne fera guère de doutes lorsque l’opération incluant la location financière présentera un schéma contractuel tripartite simple impliquant seulement un fournisseur / prestataire, un client / locataire et un établissement financier / loueur. Toutefois, la location financière revêt un caractère polymorphe et peut impliquer d’autres protagonistes ou générer un ensemble contractuel plus large et plus complexe.

La recherche de la connaissance, par les parties, du périmètre de l’opération incluant la location financière concerne elle davantage l’établissement financier / loueur ; la caducité ne peut affecter le contrat de location financière que si l’existence du contrat résolu ou résilié était connu de ce dernier. Ce sera toujours le cas s’il s’agit du contrat de fourniture / prestations de services directement financé par le contrat de location financière ; en revanche ce ne sera pas nécessairement le cas d’autres contrats qui bien que participant à l’économie générale de l’opération, sont conclus avec d’autres parties que le fournisseur / prestataire et ne sont pas financés par l’établissement financier / loueur via le contrat de location financière. Ainsi, pour reprendre l’exemple du cas d’espèce tranché par la Cour de cassation dans son arrêt précité du 13 février 2019, la caducité du contrat de location financière n’aurait pu être prononcée, sous l’empire de la loi nouvelle, que s’il était établi que l’établissement financier / loueur avait connaissance de l’existence du contrat de mise à disposition d’un espace publicitaire conclu entre le client / locataire et un tiers, ce qui n’avait rien d’évident à partir du moment où le contrat de location financière n’avait aucunement pour objet de financer cette prestation.

L’application des dispositions des alinéas 2 et 3 de l’article 1186 nouveau du Code civil, qui introduisent pour partie, une approche subjective de l’interdépendance des contrats en invitant les juges à prendre en compte, d’une part, les conditions du consentement des parties, d’autre part, la connaissance, par ces mêmes parties, de l’opération d’ensemble à laquelle elles participent, devrait donc nécessairement infléchir la rigueur des principes issus des arrêts des 17 mai 2013 et 12 juillet 2017. Il n’est pas certain toutefois que cette approche subjective simplifie les choses, les juges devant se livrer à une interprétation des contrats en recherchant la volonté commune des parties, ce qui ne sera pas forcément très aisé en présence d’une opération complexe impliquant une pluralité de parties et de contrats (Cf. articles 1188 et suivants du Code civil).

Les effets de la caducité

La résolution ou la résiliation d’un contrat participant à la réalisation d’une opération incluant une location financière entrainant la caducité des autres contrats conclus dans le cadre de la même opération, il convient de s’interroger sur les effets de cette caducité. En particulier, le contrat résolu ou résilié étant, le plus souvent, le contrat de fourniture et/ou de prestations de services, du fait de la défaillance du fournisseur / prestataire, l’établissement financier / loueur sera-t-il tenu à la restitution des loyers de manière rétroactive depuis le début de l’exécution du contrat de location financière ou seulement à compter du moment où cette caducité est constatée ?

Sur cette question des effets de la caducité, les arrêts des 17 mai 2013 et 12 juillet 2017 ne disent rien. Il importe donc d’examiner les décisions rendues par les juges du fond postérieurement. Il apparait que ceux-ci, après avoir prononcé la caducité du contrat de location financière, ont tendance à condamner l’établissement financier loueur à restituer au client / locataire l’intégralité des loyers dont il s’est acquitté depuis la prise d’effet du contrat. Dans un arrêt du 28 février 2019, la Cour d’appel de Nîmes a ainsi jugé que « par le jeu de la caducité du contrat de location financière, la société Lixxbail doit rembourser l’intégralité des loyers perçus soit la somme de 121.176 euros à a société Citis » (CA Nîmes 1ère Ch., 28 févier 2019, n°16-05407). La Cour d’appel de Paris a également opté pour une restitution intégrale des loyers par l’établissement financier / loueur, dans une espèce où le fournisseur n’avait jamais livré le matériel, objet du contrat de location financière (CA Paris Pôle 5-Ch.10, 10 septembre 2018, n°16/21982).

Dans un arrêt du 18 décembre 2018, la Cour d’appel de Versailles statuant sur renvoi après cassation, a estimé « que la caducité du contrat de location impliquerait normalement la restitution de toutes les sommes versées à ce titre », précisant néanmoins qu’« il en va toutefois différemment lorsque le créancier de ces restitutions est à l’origine de l’anéantissement de l’ensemble contractuel, sa faute empêchant la restitution des sommes versées et l’obligeant en outre à indemniser le préjudice subi par son co-contractant » (CA Versailles, 12ème Ch., 18 décembre 2018, n°17-04521).

Par ailleurs, la contrepartie de la restitution des loyers, par l’établissement financier / loueur, au client locataire, du fait de la caducité du contrat de location financière est la restitution, par le client / locataire, à l’établissement financier, des matériels mis à sa disposition (CA Paris, Pôle 5-Ch.10, 3 décembre 2018, n°17-09994 ; CA Aix en Provence, 2ème Ch., 13 décembre 2018, n°16-11884).

Quels sont, s’agissant des effets de la caducité, les apports des textes issus de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 ? L’article 1187 nouveau du Code civil, précisément consacré aux effets de la caducité, dispose que « la caducité met fin au contrat. Elle peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ».

La formule selon laquelle la caducité met fin au contrat est pour le moins laconique et semble a priori de bien peu d’aide. Il importe cependant de préciser que cela est volontaire, le rapport fait au Président de la République sur l’ordonnance du 10 février 2016 précisant : « l’ordonnance prévoit donc que la caducité met fin au contrat mais dans un souci pragmatique ne tranche pas la question de la rétroactivité : elle n’est pas exclue dans certaines hypothèses puisque la caducité peut donner lieu à des restitutions. Il appartiendra aux juges d’apprécier l’opportunité de la rétroactivité en fonction des circonstances de chaque espèce ».

La rétroactivité des effets de la caducité n’est donc qu’une possibilité pour le juge qu’il doit apprécier au regard des circonstances qui lui sont soumises. Il apparait à cet égard logique que les effets de la caducité soient fixés en considération du sort réservé au contrat de fourniture / prestations de services. Si ce contrat de fourniture / prestations de services fait l’objet d’une résolution ayant un effet rétroactif, il est normal que la caducité produise elle-même un effet rétroactif et puisse emporter la restitution, par l’établissement financier, de l’intégralité des loyers qu’il aura perçus depuis la prise d’effet du contrat de location financière. En revanche, si le contrat de fourniture / prestation de service est résilié sans effet rétroactif, alors la restitution des loyers ne devrait couvrir que la période échue à compter de la prise d’effet de cette résiliation.

Quant au renvoi, par l’article 1187 du Code civil, pour la fixation des modalités des restitutions provoquées par la caducité, aux dispositions des articles 1352 à 1352-9 du même code, il mérite attention.

En effet, il en résulte que la restitution des loyers perçus, par l’établissement financier / loueur, au client / locataire, sera soumise aux dispositions de l’article 1352-6 selon lesquelles : « la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l’a reçue ». L’article 1352-7 précise utilement, concernant les intérêts que « celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande ».

Surtout, la restitution des matériels, par le client / locataire, à l’établissement financier / loueur, sera soumise à l’application des articles 1352-1 et 1352-5 nouveaux relatifs à la restitution d’une chose en nature. Or, une attention particulière doit être portée à l’article 1352-3 alinéa 2 du Code civil, selon lequel « la restitution inclut les fruits et la valeur de jouissance que la chose a procurée. La valeur de jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce… ».

Pour mémoire, il est rappelé qu’antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016, la jurisprudence estimait, en cas d’annulation ou de résolution, qu’en raison de l’effet rétroactif de ces mécanismes d’anéantissement du contrat, « le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation de la chose par l’acquéreur » (Cass. 1ère civ., 11 mars 2003, n°01-2003 ; Cass. Ch. mixte, 9 juillet 2004, n°02-16302). L’article 1352-3 alinéa 2 nouveau retient désormais, s’agissant de la caducité, la solution contraire permettant la prise en compte de la valeur de jouissance de la chose restituée.

S’il a été vu ci-dessus que la caducité pouvait avoir un effet rétroactif ou pas, en fonction de l’appréciation du juge, il semble ainsi qu’en toute hypothèse, en application des dispositions précitées de l’article 1352-3 nouveau du Code civil, l’établissement financier / loueur pourra solliciter le paiement, par le client / locataire, d’une indemnité correspondant à la valeur de jouissance du matériel, pour la durée pendant laquelle ce dernier en a effectivement disposé. Or, la valeur de jouissance d’un matériel, qui devra être économiquement évaluée par le juge, ne sera a priori pas éloignée de celle du loyer.

L’indemnisation des préjudices subis du fait de la caducité

Ainsi que précédemment énoncé, la Chambre commerciale de la Cour de Cassation, dans ses deux arrêts du 12 juillet 2017 a jugé, aux termes d’attendus de principe presque identiques, que « lorsque les contrats sont interdépendants, la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute » (Cass. com., 12 juillet 2017, n°15-23552 et n°15-27703).

Dès lors, l’établissement financier soumis à la rigueur des effets de la caducité, dispose-t-il au moins d’un recours indemnitaire à l’encontre de la partie dont la faute est à l’origine de l’anéantissement de l’ensemble contractuel incluant la location financière.

L’auteur de cette faute peut être le fournisseur / prestataire de services, lorsqu’il commet une faute dans l’exécution du contrat principal (défaut de conformité du matériel, défaut de réalisation des prestations de service…) ou le locataire (défaut de paiement des prestations de services…). Il a également été jugé que le locataire commet une faute engageant sa responsabilité à l’égard de l’établissement financier en signant un procès-verbal de livraison des matériels « tout en sachant que le matériel n’était pas livré » (CA Paris, Pôle 5-Ch.10, 10 septembre 2018, n°16/21982). Ce même locataire a, en outre, fait preuve d’une « négligence » fautive en informant tardivement l’établissement financier du défaut d’exécution, par le fournisseur, du contrat principal (CA Paris, Pôle 5-Ch.10, 10 septembre 2018, n°16/21982). Enfin, il a été jugé que la résiliation du contrat principal aux torts exclusifs du locataire « suffit à démontrer que l’initiative ainsi prise par [ce dernier] était infondée et donc fautive, cette faute étant à l’origine de la résiliation de ce contrat mais également par voie de conséquence, de la caducité du contrat de location » (CA Versailles, 18 décembre 2018, n°17/04521).

S’agissant de manquements contractuels commis dans l’exécution du contrat principal auquel l’établissement financier n’est pas partie, l’action de ce dernier en réparation de son préjudice sera nécessairement fondée sur le régime de la responsabilité délictuelle (Cass. Ass. Plén., 6 octobre 2006, n°05-13255).

Le préjudice subi par l’établissement financier « se traduit par une perte de loyers » et est « constitué par des sommes qu’[il] aurait dû percevoir si la convention s’était poursuivie jusqu’au terme convenu au regard du capital investi et des gains qu’[il] pouvait escompter, à savoir le montant des loyers échus et non réglés » (CA Versailles 12ème Ch., 18 décembre 2018, n°17/04521). L’établissement financier étant « en droit d’attendre un retour sur son investissement », il subit un « manque à gagner », en l’espèce le prix du matériel qu’il n’était plus en mesure de recouvrer auprès du fournisseur, ce dernier ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire (CA Paris, Pôle 5-Ch.10, 10 septembre 2018, n°16/21982).

En outre, et même si en principe « la caducité du contrat de location impliquerait normalement la restitution de toutes les sommes versées à ce titre », il a été jugé que l’établissement financier pouvait conserver « les loyers déjà réglés antérieurement ou même postérieurement à la caducité » « à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi » (CA Versailles, 12ème Ch., 18 décembre 2018, n°17/04521 ; et même solution retenue dans CA Paris, Pôle 5-Ch.10, 10 septembre 2018, n°16/21982).

En revanche, l’établissement financier qui, plutôt que de demander la réparation de son préjudice, sollicite d’être relevé et garanti, par le fournisseur, de la condamnation à restituer les loyers perçus, a été jugé irrecevable. La Cour d’appel de Nîmes a, dans son arrêt précité du 28 février 2019, considéré sur ce point que « le préjudice que [l’établissement financier] subit du fait de l’absence de livraison conforme et de la résolution du contrat de fourniture, est pour la majeure partie réparée par la restitution du prix de vente et est constitué par le seul fait qu’[il] n’a pas pu amortir son acquisition et non par le fait qu’[il] a été condamné à rembourser les loyers perçus » (CA Nîmes, 28 février 2019, n°16/05047).

L’action en réparation du préjudice subi semble ainsi être la seule solution, pour l’établissement financier, de limiter les effets de la caducité ; l’action en garantie formée contre le fournisseur pour obtenir le paiement, par ce dernier, des loyers devant être restitués au locataire, lui étant fermée.

Il convient enfin de s’interroger sur la possibilité, pour l’établissement financier, de prévoir contractuellement, par le jeu d’une clause pénale, l’indemnisation de ses préjudices lorsque la caducité est due à la défaillance fautive de l’une des parties. Il est de jurisprudence constante que « la caducité d’un acte n’affecte pas la clause pénale qui y est stipulée et qui doit précisément produire effet en cas de défaillance fautive de l’une des parties » (Cass. com., 22 mars 2011, n°09-16660 ; Cass. 2ème civ., 6 juin 2013, n°12-20352).

Les nouvelles dispositions du Code civil relatives aux clauses pénales (article 1231-5) et à la caducité (articles 1186 et 1187) n’ont pas consacré cette jurisprudence et ne nous renseignent donc pas sur le sort des clauses pénales en cas de caducité.

Toutefois, la Chambre mixte de la Cour de cassation a récemment jugé, par deux arrêts rendus en matière de contrat de crédit-bail mobilier et après avoir rappelé sa jurisprudence rendue en matière de contrat de location financière, que « les clauses prévues en cas de résiliation du contrat », en l’espèce les clauses de garantie et de renonciation à recours, étaient « inapplicables », en raison de la caducité du contrat de crédit-bail mobilier (Cass. Ch. mixte, 13 avril 2018, n°16-21345, n°16-21947). Ces arrêts ne nous paraissent pas pour autant rendre impossible tout aménagement contractuel de l’indemnisation de l’établissement financier en cas de caducité du contrat de location financière. Ils ne visent en effet que l’inapplication des clauses prévues pour la résiliation et ne se prononcent pas sur le sort des clauses prévues en cas de caducité, telle que pourrait l’être une clause pénale.

L’établissement financier a donc tout intérêt à prévoir une clause pénale, dont l’objet doit être spécifiquement l’indemnisation de ses préjudices en cas de caducité due à la faute de son cocontractant, dans le cadre de l’exécution du contrat principal.

Marc Susini, Avocat associé

Muriel Puyau, Avocat